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Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/210

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PROPOS SUR LE BONHEUR

pieuses, qui ne changent pourtant point les faits. C’est tout à fait comme si un promeneur se disait, sur le seuil de sa porte : « Voilà un gros nuage qui me gâte déjà la promenade ; ma foi j’aime mieux croire qu’il ne pleuvra point. » Il vaut mieux voir le nuage plus noir qu’il n’est et prendre un parapluie. C’est ainsi qu’il se moquait, et j’en riais bien ; car ce raisonnement qu’il faisait montre une belle apparence, mais ce n’est qu’un décor sans épaisseur, et j’eus bientôt touché de mes mains le mur rustique qui est ma maison.

Il y a l’avenir qui se fait et l’avenir qu’on fait. L’avenir réel se compose des deux. Au sujet de l’avenir qui se fait, comme orage ou éclipse, il ne sert à rien d’espérer, il faut savoir, et observer avec des yeux secs. Comme on essuie les verres de la lunette, ainsi il faut essuyer la buée des passions sur les yeux. J’entends bien. Les choses du ciel, que nous ne modifions jamais, nous ont appris la résignation et l’esprit géomètre qui sont une bonne partie de la sagesse. Mais dans les choses terrestres, que de changements par l’homme industrieux ! Le feu, le blé, le navire, le chien dressé,le cheval dompté, voilà des œuvres que l’homme n’aurait point faites si la science avait tué l’espérance.

Surtout dans l’ordre humain lui-même, où la confiance fait partie des faits, je compte très mal si je ne compte point ma propre confiance. Si je crois que je vais tomber, je tombe ; si je crois que je ne puis rien, je ne puis rien. Si je crois que mon espérance me trompe, elle me trompe. Attention là. Je fais le beau temps et l’orage ; en moi d’abord ; autour de moi aussi, dans le monde des hommes. Car le