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Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/212

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LXIX

DÉNOUER

Quelqu’un me jugeait hier un peu de mots : « Optimisme incurable. » Certainement il l’entendait mal, voulant dire que je suis ainsi par nature et que j’en suis bien heureux, mais qu’enfin une bienfaisante illusion n’a jamais passé pour vérité. C’est confondre ce qui est avec ce que l’on veut faire être. Si l’on considère ce qui est de soi et sans qu’on y travaille, le pessimisme est le vrai ; car le cours des choses humaines, dès qu’on l’abandonne, va tout de suite au pire ; par exemple, qui se livre à son humeur est aussitôt malheureux et méchant. Cela est inévitable par la structure de notre corps, qui tourne tout à mal dès qu’on ne le surveille plus, dès qu’on ne le gouverne plus. Observez qu’un groupe d’enfants, faute d’un jeu réglé, en vient bientôt à la brutalité informe. Ici se montre la loi biologique de l’excitation qui va aussitôt à l’irritation. Faites l’essai de jouer à frapper dans les mains avec un tout petit enfant ; bientôt il se livrera au jeu avec une sorte de fureur qui résulte de son action même. Autre essai : faites parler un jeune garçon ; admirez-le seulement un peu ; il arrivera à l’extravagance