Page:Albalat - Le Mal d’écrire et le roman contemporain.djvu/243

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passé quelque chose de plus spécial, de plus direct qui a en quelque sorte engendré le scepticisme moral et les longs désabusements de l’illustre écrivain.

On conçoit avec quelle réserve la critique doit aborder le mystérieux récit de ce premier amour de Chateaubriand et combien cette investigation serait malséante, si on avait l’indélicatesse d’y faire entrer d’autres documents que les ouvrages mêmes du grand prosateur. Dans le château de Combourg, René a un compagnon et un confident. C’est sa sœur Lucile, la romanesque jeune fille dont le cœur se troubla si vite à son contact. Certaines pages des Mémoires éclaircissent singulièrement cette histoire intime, contenue déjà dans ce René, où nous voyons la sœur laisser échapper l’aveu non équivoque de sa coupable passion. Malgré l’extrême tact d’exécution qui en adoucit le détail, nous partageons encore aujourd’hui l’étonnement qui accueillit en 1803 l’audacieuse confession d’un malheur si rare. La critique n’ose éclaircir l’énigme ; la vérité lui fait peur. Les renseignements de son entourage démontrent d’autre part que Chateaubriand ne s’est pas attribué gratuitement ce redoutable chagrin. Il faut, au contraire, qu’il en ait ressenti une impression profonde, pour n’avoir pu s’empêcher de la divulguer et pour avoir idéalisé avec tant de complaisance descriptive une confidence sans regret et sans repentir. Examinons donc une fois pour toutes quelle a été cette fai-