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LE DIX AOÛT

bourgeois, qui composaient le parti, étaient paralysés par la crainte des vengeances des émigrés. Ceux-ci ne leur cachaient pas qu’ils les traiteraient sans ménagement quand ils rentreraient. Les plus intelligents, en dépit de leurs préventions contre les Jacobins, se rendaient compte que si ceux-ci disparaissaient, la Révolution, même la Révolution libérale de 1789, perdrait ses soutiens les plus indispensables, que rien désormais ne s’opposerait plus à la Restauration et ils tremblaient à cette pensée. Parce qu’ils avaient besoin de se rassurer à l’ombre d’une épée tutélaire, ils se rassemblaient toujours sous celle de Lafayette, mais ils manquaient désormais d’ardeur et même de conviction. Et la réflexion de Robespierre que Lafayette, en exigeant la fermeture des Jacobins, exécutait le programme du défunt empereur Léopold, ne pouvait pas ne pas les faire réfléchir. Mais leurs réflexions diverses les condamnaient à l’inaction. L’ancien secrétaire de Mirabeau passé au service de Mercy-Argenteau, Pellenc, envoyait à son patron des messages pessimistes qui font honneur à sa clairvoyance. Comme Barnave, il jugeait que le renversement du ministère girondin avait été une faute et il ne cessait de signaler le défaut d’entente, le décousu, l’incohérence des efforts des Feuillants, qu’il déclarait n’être pas même un parti, mais une cohue d’éléments divers et opposés.

Lafayette était à peine retourné dans son armée qu’on apprenait la retraite de Luckner. Après un semblant d’offensive dans les Pays-Bas, au cours duquel il s’était emparé facilement de Menin et de Courtrai, au lieu de marcher sur Bruxelles qui n’était pas défendu, le vieux maréchal s’était arrêté tout à coup et, sous