Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/149

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CHAPITRE IX.


La barque, en touchant le rivage, donna une secousse à Lucia qui, après avoir séché secrètement ses larmes, leva la tête, comme si elle se réveillait. Renzo sortit le premier, présenta sa main à Agnese qui, sortie à son tour, donna la sienne à Lucia, et tous trois remercièrent tristement le batelier. « De quoi ? répondit-il, nous sommes ici-bas pour nous aider les uns les autres, » et il retira sa main avec une sorte d’effroi, comme s’il lui avait été proposé de voler, lorsque Renzo chercha à y glisser une partie de l’argent qu’il se trouvait avoir dans sa poche, et dont il s’était muni ce soir-là dans l’intention de reconnaître généreusement envers don Abbondio le service que celui-ci aurait rendu malgré lui. La carriole était là toute prête ; le conducteur salua les trois personnes qu’il attendait, les fit monter ; un signal de la voix à sa bête, un coup de fouet, et les voilà en route.

Notre auteur ne décrit pas ce voyage nocturne ; il tait le nom du pays vers lequel le père Cristoforo avait dirigé les deux femmes ; il déclare même expressément ne le vouloir pas dire. Plus tard, et à mesure qu’on avance dans l’histoire, on aperçoit le motif de ces réticences. Les aventures de Lucia dans ce lieu se trouvent liées à une intrigue ténébreuse, où figure une personne dont la famille était, à ce qu’il paraît, très-puissante à l’époque où l’auteur écrivait. Pour rendre raison de l’étrange conduite de cette personne dans la circonstance particulière dont il s’agit, il a été ensuite obligé de raconter succinctement sa vie antérieure, et la famille y joue le rôle que verront ceux qui voudront nous lire. Mais ce que la circonspection de ce pauvre homme a voulu soustraire à notre connaissance, nos recherches nous l’ont fait trouver d’autre part. Un historien milanais[1], qui a eu à faire mention de cette même personne, ne la

  1. Joseph Ripamonti, Historiæ patriæ decadis v lib. VI, cap. iii, p. 338 et seq. (Note de l’Auteur.)