Page:Alexis - Le Collage.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
LE COLLAGE

tourner à droite et prendre par la rue Boursault. Lui, ne se méfiant de rien, l’aurait suivie au bout du monde. Tout en marchant, il lui racontait sa vie : depuis la minute où, escorté de deux mouchards, il l’avait quittée pour aller s’expliquer chez le commissaire de police du quartier. Son désespoir au commissariat de police, en s’apercevant enfin qu’il était bel et bien arrêté ; ses inutiles supplications pour la revoir ; sa rage, au Dépôt, dans une cellule, quand, pour la première fois, on tira des verrous sur lui ; les angoisses de la prison préventive, les mortelles longueurs de l’instruction, les humiliations du transfert à la prison de Versailles ; puis, devant le premier conseil de guerre : l’acte d’accusation, l’interrogatoire, les témoins, les incidents d’audience, le réquisitoire, l’inique jugement. Jacques ne lui faisait grâce d’aucun détail. Au bout de la rue Boursault, ils arrivèrent devant la grille du square des Batignolles.

Les soirs d’été, l’on ne ferme les portes qu’à onze heures ; il en était à peine neuf. Dans la douceur d’un restant de jour, que semblait prolonger la clarté d’une lune magnifique, énorme, se haussant au-dessus du clocher de la petite église, on voyait, à travers les barreaux de fer, des familles entières : mari et femme, enfants, jeunes filles, vieillards ; toutes sortes de gens tranquilles, venus là pour respirer un peu de fraîcheur après