Page:Alexis - Le Collage.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
JOURNAL DE MONSIEUR MURE

fille en cheveux qui venait d’acheter un journal était là, son chien sous le bras, un peu en arrière, essayant à droite et à gauche d’un sourire. Tandis qu’au premier rang, où elles s’étaient faufilées en bousculant tout le monde, cinq ou six effrontées de douze à quatorze ans en rupture de dodo, troussées comme des souillons, dévoraient des yeux les jambes en maillot couleur chair du saltimbanque et faisaient tout haut leurs réflexions : « — Fernand a quelque chose, ce soir, pour sûr ! — Oui, l’air tout embêté ! peut-être brouillé avec sa connaissance ! — Regarde donc ! Clara, il s’est joliment fourré de la pommade. » Une s’enhardit jusqu’à toucher les bouts du ruban de velours grenat qui rejetait en arrière l’épaisse chevelure de Fernand. Alors, il releva la tête.

— Au large, tas de vermine !

Et l’on vit son front mat, un peu bas, son beau visage de médaille, si ferme et si pur de contour, avec cela tellement brun, qu’on eût dit du bronze. Et l’on se recula, non seulement les gamines, mais les curieux, laissant autour de son tonneau un vide respectueux.

L’orgue de Barbarie appelait encore. Maintenant, il faisait tout à fait nuit. Les chandelles, du haut de leurs bouteilles, répandaient une clarté vacillante, fumeuse. Et Fernand restait le nouveau comme écrasé sous le poids de sa tignasse noire frisée naturellement. On ne voyait