Page:Alexis - Le Collage.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
251
JOURNAL DE MONSIEUR MURE

ribles et haussait énergiquement les épaules pour défendre son maréchal, le nouveau procureur général répétait à chaque instant, d’un air profond : « Nous n’avons plus d’hommes ! » La phrase semblait dure à avaler au sous-préfet, qui, n’ayant pas l’élocution facile, bégayait un peu en objectant, que, pourtant, dans la nouvelle administration, parmi ses collègues récemment appelés aux affaires publiques… Et, comme la phrase traînait en longueur, le bouillant M. de Lancy intervint :

— Au 16 Mai, on a manqué d’énergie ; et si j’avais été à la place de ces idiots, de Fourtou et de Broglie, moi !…

Maintenant, les têtes étaient montées, et les voix de ces messieurs, plus hautes et plus chaudes, s’entrecoupaient, se croisaient, tandis que les dames, n’écoutant plus, et leur assiette vide, s’éventaient à petits coups, quelques-unes renversées sur le dossier de leur chaise. Hélène, elle, répondait de temps en temps à une phrase compassée du premier président, son voisin de droite ; puis, d’un regard lancé aux domestiques, elle pressait le service un peu languissant. Tout à coup, au dessert, au moment du champagne, on entendit une musique douce qui semblait descendre du plafond. L’orchestre, déjà installé sur son estrade dans la salle de bal, jouait une première valse.

— Bon ! nous allons bientôt danser ! fit M. de Lancy.

Et il quitta sa coupe, où l’écume du moët ache-