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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

J’admettrai, du reste, si l’on veut, que les villages et les comtés des États-Unis seraient plus utilement administrés par une autorité centrale placée loin d’eux, et qui leur resterait étrangère, que par des fonctionnaires pris dans leur sein. Je reconnaîtrai, si on l’exige, qu’il règnerait plus de sécurité en Amérique, qu’on y ferait un emploi plus sage et plus judicieux des ressources sociales, si l’administration de tout le pays était concentrée dans une seule main. Les avantages politiques que les Américains retirent du système de la décentralisation me le feraient encore préférer au système contraire.

Que m’importe, après tout, qu’il y ait une autorité toujours sur pied, qui veille à ce que mes plaisirs soient tranquilles, qui vole au-devant de mes pas pour détourner tous les dangers, sans que j’aie même le besoin d’y songer ; si cette autorité, en même temps qu’elle ôte ainsi les moindres épines sur mon passage, est maîtresse absolue de ma liberté et de ma vie ; si elle monopolise le mouvement et l’existence tel point qu’il faille que tout languisse autour d’elle quand elle languit, que tout dorme quand elle dort, que tout périsse si elle meurt ?

Il y a telles nations de l’Europe où l’habitant se considère comme une espèce de colon indifférent à la destinée du lieu qu’il habite. Les plus grands changements surviennent dans son pays sans son concours ; il ne sait même pas précisément ce qui s’est passé ; il s’en doute ; il a entendu raconter l’événement par hasard. Bien plus, la fortune de son village, la police de sa rue, le sort de son église et de son presbytère ne le touchent point ; il pense que toutes ces choses