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DU JUGEMENT POLITIQUE.

chambre des députés. » Il y a des constitutions qui ne spécifient aucun crime, afin de laisser peser sur les fonctionnaires publics une responsabilité illimitée[1].

Mais ce qui rend, en cette matière, les lois américaines si redoutables, naît, j’oserai le dire, de leur douceur même.

Nous avons vu qu’en Europe la destitution d’un fonctionnaire, et son interdiction politique, étaient une des conséquences de la peine, et qu’en Amérique c’était la peine même. Il en résulte ceci : en Europe, les tribunaux politiques sont revêtus de droits terribles dont quelquefois ils ne savent comment user et il leur arrive de ne pas punir, de peur de punir trop. Mais, en Amérique, on ne recule pas devant une peine qui ne fait pas gémir l’humanité : condamner un ennemi politique à mort, pour lui enlever le pouvoir, est au yeux de tous un horrible assassinat ; déclarer son adversaire indigne de posséder ce même pouvoir, et le lui ôter, en lui laissant la liberté et la vie, peut paraître le résultat honnête de la lutte.

Or, ce jugement si facile à prononcer n’en est pas moins le comble du malheur pour le commun de ceux auxquels il s’applique. Les grands criminels braveront sans doute ses vaines rigueurs les hommes ordinaires verront en lui un arrêt qui détruit leur position, entache leur honneur, et qui les condamne à une honteuse oisiveté pire que la mort.

Le jugement politique, aux États-Unis, exerce donc sur la marche de la société une influence d’au-

  1. Voyez la constitution des Illinois, du Maine, du Connecticut et de la Géorgie.