Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 3.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
SUR LE MOUVEMENT INTELLECTUEL.

ses efforts ne sauraient changer. Ils rendent les générations solidaires les unes des autres, et remontant ainsi, d’âge en âge et d’événements nécessaires en événements nécessaires, jusqu’à l’origine du monde, ils font une chaîne serrée et immense qui enveloppe tout le genre humain et le lie.

Il ne leur suffit pas de montrer comment les faits sont arrivés ; ils se plaisent encore à faire voir qu’ils ne pouvaient arriver autrement. Ils considèrent une nation parvenue à un certain endroit de son histoire, et ils affirment qu’elle a été contrainte de suivre le chemin qui l’a conduite là. Cela est plus aisé que d’enseigner comment elle aurait pu faire pour prendre une meilleure route.

Il semble, en lisant les historiens des âges aristocratiques et particulièrement ceux de l’antiquité, que, pour devenir maître de son sort et pour gouverner ses semblables, l’homme n’a qu’à savoir se dompter lui-même. On dirait, en parcourant les histoires écrites de notre temps, que l’homme ne peut rien, ni sur lui, ni autour de lui. Les historiens de l’antiquité enseignaient à commander, ceux de nos jours n’apprennent guère qu’à obéir. Dans leurs écrits, l’auteur paraît souvent grand, mais l’humanité est toujours petite.

Si cette doctrine de la fatalité, qui a tant d’attraits pour ceux qui écrivent l’histoire dans les temps démocratiques, passant des écrivains à