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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

turbulents et inquiets ceux qui prétendent unir leurs efforts pour créer la prospérité commune, et changeant le sens naturel des mots, il nomme bons citoyens ceux qui se renferment étroitement en eux-mêmes.

Ainsi, les vices que le despotisme fait naître sont précisément ceux que l’égalité favorise. Ces deux choses se complètent et s’entr’aident d’une manière funeste.

L’égalité place les hommes à côté les uns des autres, sans lien commun qui les retienne. Le despotisme élève des barrières entre eux et les sépare. Elle les dispose à ne point songer à leurs semblables, et il leur fait une sorte de vertu publique de l’indifférence.

Le despotisme, qui est dangereux dans tous les temps, est donc particulièrement à craindre dans les siècles démocratiques.

Il est facile de voir que dans ces mêmes siècles les hommes ont un besoin particulier de la liberté.

Lorsque les citoyens sont forcés de s’occuper des affaires publiques, ils sont tirés nécessairement du milieu de leurs intérêts individuels et arrachés, de temps à autre, à la vue d’eux-mêmes.

Du moment où l’on traite en commun les affaires communes, chaque homme aperçoit qu’il n’est pas aussi indépendant de ses semblables qu’il se le figurait d’abord, et que, pour obtenir leur