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SUR LES SENTIMENTS DES AMÉRICAINS.

Il faut donc s’attendre que l’intérêt individuel deviendra plus que jamais le principal, sinon l’unique mobile des actions des hommes ; mais il reste à savoir comment chaque homme entendra son intérêt individuel.

Si les citoyens, en devenant égaux, restaient ignorants et grossiers, il est difficile de prévoir jusqu’à quel stupide excès pourrait se porter leur égoïsme, et l’on ne saurait dire à l’avance dans quelles honteuses misères ils se plongeraient eux-mêmes, de peur de sacrifier quelque chose de leur bien-être à la prospérité de leurs semblables.

Je ne crois point que la doctrine de l’intérêt, telle qu’on la prêche en Amérique, soit évidente dans toutes ses parties ; mais elle renferme un grand nombre de vérités si évidentes, qu’il suffit d’éclairer les hommes pour qu’ils les voient. Éclairez-les donc à tout prix ; car le siècle des dévouements aveugles et des vertus instinctives fuit déjà loin de nous, et je vois s’approcher le temps où la liberté, la paix publique et l’ordre social lui-même ne pourront se passer des lumières.