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SUR LES SENTIMENTS DES AMÉRICAINS.

leurs moindres désirs, et il semble que du moment où ils désespèrent de vivre une éternité ils sont disposés à agir comme s’ils ne devaient exister qu’un seul jour.

Dans les siècles d’incrédulité il est donc toujours à craindre que les hommes ne se livrent sans cesse au hasard journalier de leurs désirs, et que, renonçant entièrement à obtenir ce qui ne peut s’acquérir sans de longs efforts, ils ne fondent rien de grand, de paisible et de durable.

S’il arrive que, chez un peuple ainsi disposé, l’état social devienne démocratique, le danger que je signale s’en augmente.

Quand chacun cherche sans cesse à changer de place, qu’une immense concurrence est ouverte à tous, que les richesses s’accumulent et se dissipent en peu d’instants au milieu du tumulte de la démocratie, l’idée d’une fortune subite et facile, de grands biens aisément acquis et perdus, l’image du hasard, sous toutes ses formes, se présente à l’esprit humain. L’instabilité de l’état social vient favoriser l’instabilité naturelle des désirs. Au milieu de ces fluctuations perpétuelles du sort, le présent grandit ; il cache l’avenir qui s’efface, et les hommes ne veulent songer qu’au lendemain.

Dans ces pays où, par un concours malheureux, l’irréligion et la démocratie se rencontrent, les philosophes et les gouvernants doivent s’attacher