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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

tout à coup d’un commerce méticuleux et difficile, à ce point que souvent je rencontre autant de difficulté à ne point l’offenser que j’en trouvais à lui déplaire. Ces deux effets si différents sont produits par la même cause.

Les institutions démocratiques donnent en général aux hommes une vaste idée de leur patrie et d’eux-mêmes. L’Américain sort de son pays le cœur gonflé d’orgueil. Il arrive en Europe, et s’aperçoit d’abord qu’on ne s’y préoccupe point autant qu’il se l’imaginait des États-Unis et du grand peuple qui les habite. Ceci commence à l’émouvoir.

Il a entendu dire que les conditions ne sont point égales dans notre hémisphère. Il s’aperçoit en effet que parmi les nations de l’Europe la trace des rangs n’est pas entièrement effacée ; que la richesse et la naissance y conservent des privilèges incertains qu’il lui est aussi difficile de méconnaître que de définir. Ce spectacle le surprend et l’inquiète, parce qu’il est entièrement nouveau pour lui ; rien de ce qu’il a vu dans son pays ne l’aide à le comprendre. Il ignore donc profondément quelle place il convient d’occuper dans cette hiérarchie à moitié détruite, parmi ces classes qui sont assez distinctes pour se haïr et se mépriser, et assez rapprochées pour qu’il soit toujours prêt à les confondre. Il craint de se poser trop