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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

posées l’une à l’autre, toujours distinctes, mais régies par des principes analogues.

Cette constitution aristocratique n’influe guère moins sur les idées et les mœurs des serviteurs que sur celles des maîtres, et, bien que les effets soient différents, il est facile de reconnaître la même cause.

Les uns et les autres forment de petites nations au milieu de la grande ; et il finit par naître, au milieu d’eux, de certaines notions permanentes en matière de juste et d’injuste. On y envisage les différents actes de la vie humaine sous un jour particulier qui ne change pas. Dans la société des serviteurs comme dans celle des maîtres, les hommes exercent une grande influence les uns sur les autres. Ils reconnaissent des règles fixes, et à défaut de loi ils rencontrent une opinion publique qui les dirige ; il y règne des habitudes réglées, une police.

Ces hommes, dont la destinée est d’obéir, n’entendent point sans doute la gloire, la vertu, l’honnêteté, l’honneur, de la même manière que les maîtres. Mais ils se sont fait une gloire, des vertus et une honnêteté de serviteurs, et ils conçoivent, si je puis m’exprimer ainsi, une sorte d’honneur servile[1].

  1. Si l’on vient à examiner de près et dans le détail les opinions principales qui dirigent ces hommes, l’analogie paraît plus frappante encore,