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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

la bassesse humaine ; sous l’ancienne monarchie, lorsqu’on voulait peindre en un moment un être vil et dégradé, on disait de lui qu’il avait l’âme d’un laquais. Cela seul suffisait. Le sens était complet et compris.

L’inégalité permanente des conditions ne donne pas seulement aux serviteurs de certaines vertus et de certains vices particuliers ; elle les place vis-à-vis des maîtres dans une position particulière.

Chez les peuples aristocratiques, le pauvre est apprivoisé, dès l’enfance, avec l’idée d’être commandé. De quelque côté qu’il tourne ses regards, il voit aussitôt l’image de la hiérarchie et l’aspect de l’obéissance.

Dans les pays où règne l’inégalité permanente des conditions, le maître obtient donc aisément de ses serviteurs une obéissance prompte, complète, respectueuse et facile, parce que ceux-ci révèrent en lui, non seulement le maître, mais la classe des maîtres. Il pèse sur leur volonté, avec tout le poids de l’aristocratie.

Il commande leurs actes ; il dirige encore jusqu’à un certain point leurs pensées. Le maître, dans les aristocraties, exerce souvent, à son insu même, un prodigieux empire sur les opinions, les habitudes, les mœurs de ceux qui lui obéissent, et son influence s’étend beaucoup plus loin encore que son autorité.