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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

que la prodigieuse inégalité qui se fait voir entre eux et le maître leur semble l’effet nécessaire et inévitable de quelque loi cachée de la Providence.

Sous la démocratie, l’état de domesticité n’a rien qui dégrade, parce qu’il est librement choisi, passagèrement adopté, que l’opinion publique ne le flétrit point, et qu’il ne crée aucune inégalité permanente entre le serviteur et le maître.

Mais, durant le passage d’une condition sociale à l’autre, il survient presque toujours un moment où l’esprit des hommes vacille entre la notion aristocratique de la sujétion et la notion démocratique de l’obéissance.

L’obéissance perd alors sa moralité aux yeux de celui qui obéit ; il ne la considère plus comme une obligation en quelque sorte divine, et il ne la voit point encore sous son aspect purement humain ; elle n’est à ses yeux ni sainte ni juste, et il s’y soumet comme a un fait dégradant et utile.

Dans ce moment l’image confuse et incomplète de l’égalité se présente à l’esprit des serviteurs ; ils ne discernent point d’abord si c’est dans l’état même de domesticité ou en dehors que cette égalité à laquelle ils ont droit se retrouve, et ils se révoltent au fond de leur cœur contre une infériorité à laquelle ils se sont soumis eux-mêmes et dont ils profitent. Ils consentent à servir, et ils ont