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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

politique qui achève de s’accomplir sous nos yeux,

Il y a certains grands principes sociaux qu’un peuple fait pénétrer partout, ou ne laisse subsister nulle part.

Dans les pays aristocratiquement et hiérarchiquement organisés, le pouvoir ne s’adresse jamais directement à l’ensemble des gouvernés. Les hommes tenant les uns aux autres, on se borne à conduire les premiers. Le reste suit. Ceci s’applique à la famille, comme à toutes les associations qui ont un chef. Chez les peuples aristocratiques, la société ne connaît, à vrai dire, que le père. Elle ne tient les fils que par les mains du père ; elle le gouverne et il les gouverne. Le père n’y a donc pas seulement un droit naturel. On lui donne un droit politique à commander. Il est l’auteur et le soutien de la famille ; il en est aussi le magistrat.

Dans les démocraties, où le bras du gouvernement va chercher chaque homme en particulier

    permettait volontiers que quelques principes populaires régissent les biens et gouvernassent les familles, pourvu qu’on ne prétendît pas les introduire dans la direction de l’État. Tandis que le torrent démocratique déborderait sur les lois civiles, il espérait se tenir aisément à l’abri derrière les lois politiques. Cette vue est à la fois pleine d’habileté et d’égoïsme ; mais un pareil compromis ne pouvait être durable. Car à la longue, la société politique ne saurait manquer de devenir l’expression et l’image de la société civile ; et c’est dans ce sens qu’on peut dire qu’il n’y a rien de plus politique chez un peuple que la législation civile.