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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

se sont hâtés de lui donner une connaissance précoce de toutes choses. Loin de lui cacher les corruptions du monde, ils ont voulu qu’elle les vît dès l’abord et qu’elle s’exerçât d’elle-même à les fuir, et ils ont mieux aimé garantir son honnêteté que de trop respecter son innocence.

Quoique les Américains soient un peuple fort religieux, ils ne s’en sont pas rapportés à la religion seule pour défendre la vertu de la femme ; ils ont cherché à armer sa raison. En ceci, comme en beaucoup d’autres circonstances, ils ont suivi la même méthode. Ils ont d’abord fait d’incroyables efforts pour obtenir que l’indépendance individuelle se réglât d’elle-même, et ce n’est qu’arrivés aux dernières limites de la force humaine qu’ils ont enfin appelé la religion à leur secours.

Je sais qu’une pareille éducation n’est pas sans danger ; je n’ignore pas non plus qu’elle tend à développer le jugement aux dépens de l’imagination, et à faire des femmes honnêtes et froides plutôt que des épouses tendres et d’aimables compagnes de l’homme. Si la société en est plus tranquille et mieux réglée, la vie privée en a souvent moins de charmes. Mais ce sont là des maux secondaires, qu’un intérêt plus grand doit faire braver. Parvenus au point où nous sommes, il ne