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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

libre arbitre, la première fois qu’elles en usent ; ni qu’elles tombent dans de si cruelles erreurs, lorsque sans avoir reçu l’éducation démocratique, elles veulent suivre, en se mariant, les coutumes de la démocratie.

Mais il y a plus.

Lorsqu’un homme et une femme veulent se rapprocher à travers les inégalités de l’état social aristocratique, ils ont d’immenses obstacles à vaincre. Après avoir rompu ou desserré les liens de l’obéissance filiale, il leur faut échapper, par un dernier effort, à l’empire de la coutume et à la tyrannie de l’opinion ; et lorsque enfin ils sont arrivés au bout de cette rude entreprise, ils se trouvent comme des étrangers au milieu de leurs amis naturels et de leurs proches : le préjugé qu’ils ont franchi les en sépare. Cette situation ne tarde pas à abattre leur courage et à aigrir leurs cœurs.

Si donc il arrive que des époux unis de cette manière sont d’abord malheureux, et puis coupables, il ne faut pas l’attribuer à ce qu’ils se sont librement choisis, mais plutôt à ce qu’ils vivent dans une société qui n’admet point de pareils choix.

On ne doit pas oublier, d’ailleurs, que le même effort qui fait sortir violemment un homme d’une erreur commune l’entraîne presque toujours hors de la raison ; que, pour oser déclarer une guerre,