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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Les désordres dont nous sommes souvent témoins ne me semblent donc pas un fait durable. Déjà de curieux indices l’annoncent.

Il n’y a rien de plus misérablement corrompu qu’une aristocratie qui conserve ses richesses en perdant son pouvoir, et qui, réduite à des jouissances vulgaires, possède encore d’immenses loisirs. Les passions énergiques et les grandes pensées qui l’avaient animée jadis, en disparaissent alors, et l’on n’y rencontre plus guère qu’une multitude de petits vices rongeurs, qui s’attachent à elle, comme des vers à un cadavre.

Personne ne conteste que l’aristocratie française du dernier siècle ne fût très-dissolue ; tandis que d’anciennes habitudes et de vieilles croyances maintenaient encore le respect des mœurs dans les autres classes.

On n’aura pas de peine non plus à tomber d’accord que, de notre temps, une certaine sévérité de principes ne se fasse voir parmi les débris de cette même aristocratie, au lieu que le désordre des mœurs a paru s’étendre dans les rangs moyens et inférieurs de la société. De telle sorte que les mêmes familles qui se montraient, il y a cinquante ans, les plus relâchées, se montrent aujourd’hui les plus exemplaires, et que la démocratie semble n’avoir moralisé que les classes aristocratiques.