Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

langue politique qu’on voulait parler ; il est difficile de se montrer plus maladroit et plus ignorant que mes adversaires ; ils m’accablèrent de questions qu’ils croyaient très serrées, et qui me laissaient très libre ; et, de mon côté, je leur fis des réponses qui, quelquefois, n’étaient pas bien fortes et qui leur parurent toujours très concluantes. Le terrain sur lequel ils croyaient surtout pouvoir m’accabler, était celui des banquets. Je n’avais pas voulu, comme on sait, prendre part à ces manifestations dangereuses ; mes amis politiques m’avaient blâmé de les avoir abandonnés en cette circonstance, et plusieurs continuaient à m’en garder rancune, quoique la révolution m’eût donné raison, ou peut-être parce qu’elle l’avait fait. « Pourquoi vous êtes-vous séparé de l’opposition à l’occasion des banquets ? » me dit-on. Je répondis hardiment : « Je pourrais chercher un prétexte, mais j’aime mieux vous dire mon vrai motif : je ne voulais pas de banquets parce que je ne voulais pas de révolution, et j’ose dire que presque aucun de ceux qui se sont assis à ces banquets ne l’auraient fait, s’ils avaient prévu, comme moi, l’événement qui allait en sortir. La seule différence que je vois donc entre vous et moi, c’est que je savais ce que vous faisiez tandis que vous ne le saviez pas vous-mêmes. » Cette audacieuse profession de foi antirévolutionnaire avait été pré-