Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

armes. Chacun désirait ardemment se soustraire à la nécessité d’un conflit et tous sentaient vaguement que cette nécessité devenait de jour en jour plus inévitable. L’Assemblée nationale était si constamment obsédée de cette pensée, qu’on eût dit qu’elle lisait les mots : guerre civile, écrits sur les quatre murs de la salle.

De tous côtés, on y faisait de grands efforts de prudence et de patience pour empêcher ou, du moins, retarder la crise. Les membres, qui étaient, au fond de leur cœur, les plus ennemis de la révolution, retenaient avec soin l’expression de leur répugnance ou de leur sympathie ; les anciens orateurs parlementaires se taisaient, de peur que leur voix ne fit naître des ombrages ; ils abandonnaient la tribune à de nouveaux venus, qui eux-mêmes ne l’occupaient guère, car les grandes discussions avaient cessé. Suivant l’usage de toutes les assemblées, ce qui troublait le plus le fond des esprits était ce dont on parlait le moins, mais on prouvait chaque jour qu’on y pensait ; toutes sortes de moyens pour secourir la misère du peuple étaient proposés et discutés. On entrait même volontiers dans l’examen des différents systèmes socialistes, et chacun s’efforçait de bonne foi d’y trouver quelque chose qui fût applicable ou du moins compatible avec les anciennes lois de la société.

Pendant ce temps, les ateliers nationaux continuaient