Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/259

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le blanc des yeux et lui ordonnai de marcher devant moi en m’éclairant. Arrivé à une porte qui menait dans la cour, il s’arrête et me dit qu’on entend au fond des remises un bruit singulier qui l’inquiète et dont il me prie de venir avec lui rechercher la cause ; en disant ces mots, il prend le chemin de la remise. Tout ceci commençait à me paraître fort suspect, mais je pensais, qu’engagé jusque-là, il était plus sûr d’avancer. Je le suivis donc, mais sans perdre un de ses mouvements de vue et bien résolu à le tuer comme un chien au premier signe qui m’annoncerait un mauvais dessein. Nous entendîmes, en effet, le bruit fort étrange dont il m’avait parlé. Il ressemblait à un roulement sourd de l’eau ou au bruit lointain d’une voiture, quoiqu’il partît évidemment d’un lieu fort proche ; je n’ai jamais pu savoir quelle en était la cause, il est vrai que je ne la recherchai pas longtemps. Je rentrai bientôt dans la maison et me fis conduire par mon compagnon jusqu’à mon palier, toujours le regardant ; je lui dis d’ouvrir ma porte, et, dès qu’elle fut ouverte, je lui pris le flambeau des mains et rentrai chez moi. Ce ne fut que quand il me vit près de disparaître qu’il se détermina à ôter son chapeau et me saluer. Cet homme avait-il eu, en effet, l’intention de me tuer, et, en me voyant sur mes gardes, et les deux mains dans les poches, a-t-il pensé que j’étais mieux armé que lui et