Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/266

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fort peu qu’ils ne se décidassent contre nous au lieu de tourner de notre côté ; mais, jusqu’à la fin, ils firent voir que c’était bien plus le combat qu’ils aimaient que la cause pour laquelle ils combattaient. Toutes ces troupes, du reste, étaient fort novices et très sujettes à la panique : j’en fus moi-même juge et quasi victime. Au coin de la rue, tout à côté du Château-d’Eau, se trouvait alors une grande maison en construction ; des insurgés, venus sans doute par derrière à travers les cours, s’y étaient logés sans qu’on l’eût soupçonné ; tout à coup, ils paraissent au sommet de l’édifice et font une grande décharge sur les troupes qui remplissaient le boulevard et qui étaient loin de s’attendre à voir l’ennemi ainsi posté et si proche. Le bruit de leurs fusils, se répercutant contre les maisons opposées avec un grand fracas, fait croire qu’une surprise de la même nature a lieu de ce côté-là. Aussitôt, la plus incroyable confusion se met dans notre colonne ; artillerie, infanterie, cavalerie, se mêlent en un instant, les soldats tirent dans tous les sens, sans savoir ce qu’ils font, et reculent tumultueusement de soixante pas. Ce mouvement de retraite fut si désordonné et si impétueux que je fus jeté contre le mur des maisons qui font face à la rue du Faubourg-du-Temple, renversé par la cavalerie et serré de telle façon que j’y laissai mon chapeau et faillis y laisser ma personne. C’est assurément le