Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/267

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danger le plus sérieux que j’aie couru dans les journées de Juin. Cela me fit penser que tout n’était pas toujours héroïque dans le jeu de la guerre ; je ne doute pas que des accidents de cette espèce n’arrivent souvent aux meilleures troupes ; personne ne s’en vante et les bulletins n’en parlent pas.

Ce qui fut sublime, en ce moment, ce fut Lamoricière ; il avait gardé jusque-là son épée dans le fourreau, il la tire alors, court à ses soldats, la plus magnifique fureur dans tous les traits ; il les arrête de sa voix, les saisit de ses mains, les frappe même du pommeau de son épée, les retourne, les ramène, et, se mettant à leur tête, les force de passer au petit pas sous le feu de la rue du Faubourg-du-Temple pour enlever la maison d’où la fusillade était partie ; ce qui fut fait en un instant et sans coup férir ; l’ennemi avait disparu.

Le combat reprit sa physionomie morne et dura encore quelque temps jusqu’à ce que le feu des insurgés fût enfin éteint et la rue occupée. Avant de passer à une autre opération, il y eut un moment d’arrêt : Lamoricière entra dans son quartier général, qui n’était autre qu’un cabaret du boulevard placé près de la porte Saint-Martin et je pus enfin le consulter sur la situation des affaires. « Combien pensez-vous, lui dis-je, que tout ceci durera ? — Eh ! qu’en sais-je, me répondit-il, cela dépend de l’ennemi et non pas de nous. » Il me mon-