Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/342

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Barrot supporter seul l’effort de la bataille. Mais quand, le 12, je vis mes collègues menacés d’accusation, je ne crus pas pouvoir plus longtemps m’abstenir. La demande de nouvelles pièces me donna l’occasion d’intervenir, sans avoir à exprimer d’opinion sur le fond de l’affaire. Je le fis vivement, mais en très peu de mots.

Quand je relis dans le Moniteur ce petit discours, je le trouve assez insignifiant et fort mal tourné ; je fus pourtant applaudi à outrance par la majorité ; parce que, dans les moments de crise où l’on touche à la guerre civile, c’est le mouvement de la pensée et l’accent des paroles, plus que leur valeur, qui entraîne. J’avais été droit à Ledru-Rollin ; je l’avais accusé avec emportement de ne demander que le trouble et de semer les mensonges pour le créer. Le sentiment qui me faisait parler était énergique, le ton déterminé et agressif, et, bien que je parlasse fort mal, étant encore troublé de mon nouveau rôle, je fus fort goûté.

Ledru me répondit, et dit à la majorité qu’elle était du parti des Cosaques ; on lui répondit qu’il était du parti des pillards et des incendiaires. Thiers, commentant cette pensée, dit qu’il y avait une liaison intime entre l’homme qu’on venait d’entendre et les insurgés de Juin. L’Assemblée, à une grande majorité, repoussa la demande de mise en accusation et se sépara.