Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/369

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ment tel que le sien comme le meilleur moyen d’habituer le pays à la république et de la lui faire goûter. Je lui disais ces choses d’un ton sincère, parce que j’étais sincère en les disant. Ce que je lui conseillais me semblait, en effet, et me semble encore ce qu’il y avait de mieux à faire dans l’intérêt du pays et peut-être dans le sien propre. Il m’écoutait volontiers sans laisser apercevoir l’impression que produisait sur lui mon langage : c’était son habitude. Les paroles qu’on lui adressait étaient comme les pierres qu’on jette dans un puits ; on en entendait le bruit, mais on ne savait jamais ce qu’elles devenaient. Je crois pourtant qu’elles n’étaient point entièrement perdues, car il y avait en lui deux hommes ; je ne tardai pas à m’en apercevoir. Le premier était l’ancien conspirateur, le rêveur fataliste qui se croyait appelé à être le maître de la France, et, par elle, à dominer l’Europe. L’autre était l’épicurien qui jouissait mollement du bien-être nouveau et des plaisirs faciles que lui donnait sa position présente, et ne se souciait plus de la hasarder pour monter plus haut. En tout cas, il semblait de plus en plus m’agréer. Il est vrai que, dans tout ce qui était compatible avec le bien du service, je faisais de grands efforts pour lui plaire. Quand, par hasard, il me recommandait, pour un poste diplomatique, un homme capable et honnête, je