Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/98

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son côté pour l’Hôtel de Ville. Là, la même parade électorale fut renouvelée, et, à ce propos, je ne puis m’empêcher de rapporter une anecdote que me raconta, quelques mois après, M. Marrast. Elle coupe un peu le fil de mon récit, mais elle peint à merveille deux hommes qui jouaient à ce moment un grand rôle, et montre la différence, sinon de leurs sentiments, au moins de leur éducation et de leurs mœurs. On avait formé à la hâte, me dit Marrast, une liste de candidats pour le gouvernement provisoire ; il s’agissait de la faire connaître au peuple ; je la donnai à Lamartine en le priant de la lire à haute voix du haut du perron. « Je ne puis, me répondit Lamartine après en avoir pris connaissance, mon nom s’y trouve. » Je la passai alors à Crémieux, qui, après l’avoir lue : « Vous moquez-vous de moi, me dit-il, de me proposer de lire au peuple une liste sur laquelle mon nom ne se trouve pas ! »

Quand je vis Ledru-Rollin quitter la salle, où il ne resta plus que la pure canaille de l’insurrection, je compris qu’il n’y avait plus rien à faire là ; je sortis donc, mais, comme je ne voulais pas me trouver au milieu de la cohue qui marchait vers l’Hôtel de Ville, je pris l’opposé du chemin qu’elle suivait et me mis à descendre cet escalier droit et rapide, comme un escalier de cave, qui conduit à la cour intérieure du palais ;