avec une méthode d’induction vigoureuse. Elle peut néanmoins apporter un certain nombre de constatations qui permettent de conjecturer l’impossibilité du miracle.
Certains auteurs, qui concèdent aux adversaires de Hume et de Stuart Mill qu’il n’y a pas contre le miracle d’induction complète, professent néanmoins qu’il existe des présomptions sans cesse grandissantes. « A mesure que son expérience s'élargit (l’esprit humain) se trouve informé de l’histoire naturelle des miracles ; il voit comment ils naissent, et lentement, mais inévitablement, ils les écarte. » Matthew Arnold, God and the Bible, Boston, 1876, p. 42. Le principal élément de cette expérience est l’explication naturelle des miracles étrangers au judaïsme et au christianisme. C’est par le rapprochement de ces prétendus miracles avec les miracles de l'évangile que la critique rationaliste entend nier le caractère surnaturel des miracles du Christ. Voir JésusChrist, col. 1402. L’objection faite aux miracles du Christ vaut pour tous les miracles en général. On la peut formuler ainsi : L’histoire nous fait connaître quantité de faits réels, que l’esprit humain encore peu éclairé des choses de la nature avait transformés en phénomènes naturellement inexplicables et, partant, miraculeux ; de plus, elle nous fait écarter quantité de faits merveilleux purement imaginaires et consacrés par la légende. N’y a-t-il pas là une double indication dont il faut tenir compte pour juger sainement de la possibilité du miracle ? Xe faut-il pas dire que la probabilité du miracle diminue progressivement dans la mesure où progressent les sciences positives, et que ce double mouvement se poursuivant d’une manière continue, il n’est pas interdit de prévoir l’heure où la notion de miracle sera complètement effacée du tableau des connaissances humaines ? Partant, il est logique de conjecturer dès maintenant son impossibilité au nom des enseignements de l’histoire.
Les peuples primitifs ont vu le miracle partout^ parce qu’ils ignoraient les lois de la nature ; aujourd’hui, on est en droit de le rejeter, précisément parce que la science nous apprend que tout phénomène obéit à une loi nécessaire. « De même que le miracle, chez les peuples primitifs et au point de vue de la foi, n’est qu’une action divine un peu plus sensible que les autres, de même, au point de vue rationnel et scientifique, le miracle le mieux constaté n’est qu’un fait moins commun que les autres, mais qui doit rentrer dans le même ordre que les autres, puisqu’il y est réellement contenu. » Firmin (A. Loisy), Les preuves et l'économie de la révélation, dans Revue du Clergé français, 15 mars 1900, p. 128 ; cf. p. 127.
On a insisté sur cet argument qui n’est point, il faut en convenir, sans quelque apparence de vérité. On l’a exploité en le grossissant notablement pour donner plus de poids à la difficulté. Cf. Arnold, God and the Bible, p. 72-74 ; cf. La crise religieuse (trad. de Literature and Dot/ma), Paris, 1876. p. 121, 125 ; L. Buchner, op. cit., p. 102 : L. Couturat, dans le Bulletin de la Société française de philosophie, mars 1912, p. 166 ; A. France, Le jardin d'Épicure. Paris, 1895, p. 209212 ; W. E. H. Locky, Hislory oj the rise and influence of the spirit of rationalism in Europe, Londres, 1913, t. i, p. 145-147 ; 180-189 ; E. Ménégoz, Publications diverses sur le fidéisme…, t. i, p. 182, 192 ; A. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion, p. 75-85 ; .1. Tyndall, Fragments of science, Londres, 1879, t. ii, p. 1 ; J. Wendland, Wunderglau.be und Wunderbegriff in der Théologie der Gegenwart, dans Zeitschrift fur wissenschaftliche Théologie, mars 1911, p. 193 ; A. D. White, A history of the war/are of science with Iheology in Christendom, NewYork, Londres, 1910, t. ii, p. 1-66, etc. Cf. Van Hove, op. cit., p. 207, note 1.
2. Critique.
On assure que » dans son enfance, l’humanité voyait partout une action surnaturelle ! Dieu partout. De là, les religions, les croyances fabuleuses, les génies, les apparitions, le merveilleux en un mot. » Renan, Cahiers de jeunesse, 1 er cahier, n. 49. Et l’on affirme que cet état « théologique » a disparu peu à peu.
Il faut bien reconnaître que les anciens étaient plus crédules que nous, et ont attribué quantité de phénomènes naturels à des causes transcendantes, parce que ces phénomènes n'étaient pas encore expliqués scientifiquement. Il faut reconnaître également que la critique historique a délogé bon nombre de faits, réputés miraculeux, et qui n'étaient que légendaires. L'Église elle-même, par la sévérité avec laquelle elle procède à l’examen des miracles dans les procès de canonisation, montre bien qu’il faut s’entourer de toutes les garanties possibles pour éviter l’illusion ou l’erreur. Mais cette part faite à la vérité, il faut tenir énergiqueinent que l’argument proposé, au nom de l’histoire, n’est pas suffisant pour créer une présomption contre la possibilité du miracle. Il s’en faut, en effet, que l’homme n’ait pas eu autrefois l’idée d’un cours normal des choses et qu’il ait fait intervenir le merveilleux dans l’explication de chaque événement. « La question n’est pas, dit fort justement J. de Tonquédac, de savoir si les anciens expliquaient ou non le cours normal des choses par l’action immédiate de la divinité (ce qui est une vue métaphysique fort différente de la croyance au merveilleux), mais s’ils faisaient, oui ou non, du miracle un événement exceptionnel. Or, ici, l’affirmative s’impose. Il est faux que les anciens aient vu en Protée le type normal de l'être ; qu’ils aient pensé que l’arbitraire inconsistant et le caprice volage fussent la loi des choses. Si vraiment ils ont cru apercevoir, immédiatement derrière le rideau des phénomènes, une ou plusieurs volontés divines, peu nous importe ici ; car, en tous cas, ils étaient obligés d’admettre, après le plus fugitif regard sur le monde, et ils admettaient à coup sûr, que ces volontés suivent, comme les nôtres, une ligne normale dont elles ne s'écartent guère. Le progrès de l’explication naturelle, délogeant peu à peu le merveilleux, primitivement installé partout, est donc une pure fiction. » De plus, si la critique historique nous a débarrassés de faits légendaires, elle n’a pas superposé, à une explication miraculeuse de faits réels, une explication scientifique. Les faits légendaires n’ont jamais existé, au moins sous la forme merveilleuse que leur prête la légende. S’ils avaient été réels, ils seraient aussi inexplicables pour nous que pour les anciens. Cette remarque diminue singulièrement le nombre des réalités jadis prétendues miraculeuses et déchues par la suite de ce rang. — Enfin, dernière observation, même en supposant que les explications scientifiques qui ont été superposées aux croyances miraculeuses aient été toujours, en tout, partout, apportées avec exactitude, on ne pourrait encore en tirer aucun préjugé contre les faits qui resteraient à expliquer. A moins de nier a priori l’existence du miracle, il sera impossible d’affirmer que le progrès des sciences, qui nous permet aujourd’hui de considérer comme naturels des faits jadis réputés merveilleux, nous autorise à rejeter tous les miracles, et justifie la conclusion que tous les phénomènes sans exception sont soumis au déterminisme des lois naturelles. « De cette circonstance qu’un grand nombre de cas ont été résolus, on ne fera jamais sortir, je ne dis pas la certitude, mais une probabilité positive que les autres le seront aussi et de la même façon. » J. de Tonquédec, op. cit., p. 82.
II. PREUVE POSITIVE HE LA POSSIBILITÉ DO MIRACLE. — 1° La démonstration thomiste, type de la