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- MOLINISME##
MOLINISME, LA QUESTION AVANT MOLINA
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I. La question des rapports de la grâce et de la
liberté, au xvi° siècle, avant Molina.
II. Les théories
exposées par Molina dans la Concordia (col. 2101).
III. L’accueil fait à cet ouvrage et les modifications
apportées dans l’édition d’Anvers (col. 2141).
IV. Les
congrégations De auxiliis (col. 2154).
V. L’essence
et les diverses modalités du molinisme (col. 2166).
VI. La défense du molinisme du xvir siècle à nos
jours (col. 2172).
'I. LA QUESTION AVANT MOLINA.
Pour situer
exactement l’œuvre de Molina, il faut au préalable
montrer comment se posait au xvie siècle la question
des rapports de la grâce et de la liberté.
I. Les définitions
du concile de Trente.
II. La position théologique
des jésuites et les origines du molinisme (col. 2095)
III. L’école dominicaine de Salamanque et les idées
de Banez (col. 2097).
IV. Le procès de Valladolid
<col. 2098).
V. L’affaire Lessius à Louvain (col. 2099).
VI. L’opposition à la parution du livre de Molina
(col. 2100).
I. Les définitions du concile de Trente. —
Dans son décret sur la justification, le 13 janvier 1547, le concile avait déclaré que le point de départ de la justification, chez les adultes, doit être cherché dans la grâce prévenante, c’est-à-dire dans la vocation par laquelle Dieu, sans aucun mérite de leur part, les excite et les aide à se convertir ; mais il avait ajouté que, si l’homme ne peut sans la grâce se mouvoir vers la justice, il ne reste cependant pas passif en recevant cette inspiration, puisqu’il peut l’écarter et n’est disposé à la justification qu’en l’acceptant et en coopérant avec elle. Sess. vi, c. v, Denzinger-Bannwart, n. 797.
Le concile avait résumé cet enseignement dans les deux définitions suivantes : « Anathème à quiconque dira que l’homme peut croire, espérer, aimer ou se repentir, comme il le faut pour recevoir la grâce de la justification, sans l’inspiration prévenante et le secours du Saint-Esprit. Anathème à qui dira que la volonté libre de l’homme, mue et excitée par Dieu ne coopère aucunement pour se disposer et se préparer à recevoir la justification, en acceptant l’excitation et l’appel de Dieu, et que l’homme ne peut pas, s’il le veut, les rejeter ; mais que, comme un être inanimé, il ne fait absolument rien et reste tout à fait passif. » Ibid., n. 813-814.
Ainsi, pour faire un acte salutaire, la grâce est nécessaire ; mais la grâce n’anéantit pas la volonté, qui reste parfaitement libre sous son action.
Ces définitions, entourées d’autres affirmations sur le mérite, le péché, la prédestination, renouvelaient les condamnations portées jadis contre le pélagianisme et le semi-pélagianisme, et rejetaient dans l’ombre les erreurs protestantes. Elles posaient ainsi des jalons sûrs pour la spéculation théologique ultérieure.
De fait, les ouvrages sur la grâce se multiplièrent pendant la seconde moitié du xvi° siècle, et les discussions passionnées qu’ils provoquèrent témoignent d’une singulière fermentation d’idées autour de problèmes nouveaux.
II. La. position théoloqique des jésuites et les origines du molinisme
A côté du vieil ordre dominicain, qui avait assisté impuissant à l’invasion protestante, et dont certaines fractions même avaient passé à l’hérésie, une société s’était levée, ardente, combative, qui avait dressé une barrière contre l’hérésie et avait refoulé l’erreur avec succès. Sous l’impulsion de leur Fondateur († 1556), les Jésuites s’étaient adonnés à l’étude de la théologie et avaient occupe, en face des vieux maîtres, des chaires importantes. Sans doute, saint Ignace leur avait prescrit d’expliquer « la doctrine scolastique de saint Thomas », mais il avait laissé aussi place à la théologie positive et ouvert la perspective de l’adoption d’un manuel « plus approprié à nos temps » (Constilut.. c. xii). Le souci de l’actualité, joint au sentiment du progrès possible et désirable de la science théologique, devait leur faire aborder la question de la grâce et leur faire chercher, avec beaucoup de liberté d’esprit, la solution de divers problèmes que saint Thomas ne s’était pas posés expressément. Voir art. Ignace de Loyola, Jésuites
Ces problèmes gravitaient tous autour de ce point central : Quelle est, dans la production de l’acte salutaire, la part de la grâce et celle de la volonté humaine ? Comment la grâce de Dieu peut-elle agir infailliblement, si la volonté libre peut ne pas consentir à ses sollicitations ? La tradition dominicaine s’attachait à résoudre les difficultés soulevées par la question des rapports de la grâce et de la liberté, en mettant en avant la toute-puissance de la volonté divine. Les jésuites, qui avaient tant affaire avec ces négateurs de la liberté qu’étaient les protestants, cherchaient avant tout, dans leurs essais d’explication, à sauvegarder la liberté humaine, selon la 17e règle d’orthodoxie que leur avait donnée leur fondateur : « N’insistons pas tellement sur l’efficacité de la grâce, que nous fassions naître dans les esprits le poison de Teneur qui nie la liberté. »
L’idée directrice des théologiens de la Compagnie les rapprochait naturellement des théologiens apologistes de l’université de Louvain : les Driedo, les Sonnius, les Tapper, les Tilet, les Rythove.
Dès 1537, on avait publié à Louvain le De concordia liberi urbitrii et prædestinationis diuinæ, et le De gratia et libero arbitrio de Jean Driedo. L’auteur y avait déclaré que « quiconque comprend bien la grâce divine et le libre arbitre ne les sépare pas dans l’œuvre bonne » ; que « le bon usage du libre arbitre, prévu par Dieu, peut être un motif de l’élection à la grâce de la justification » ; que la prédestination est un décret par lequel Dieu décide « d’appeler et d’aider l’homme d’une manière qu’il sait apte à provoquer son obéissance ». Il se référait du reste, sur ces points, à saint Jean Chrysostome et à saint Ambroise.
Son élève, Ruard Tapper, dans sa correspondance avec Pierre Soto, affirme de même, avec saint Augustin, (Ad Simplicianum, 1. 2), qu’entre les enfants de Dieu et les autres, il y a cette différence que Dieu appelle les premiers seuls, d’une manière qu’il sait, d’après leurs dispositions, devoir être suivie d’effet. Il ajoute que « souvent cette différence provient plutôt de la valeur et des sentiments de ceux qui sont appelés, que de l’appel lui-même ».
Tilet précise que Dieu sait d’avance si l’homme coopérera oui ou non à la grâce, parce qu’ « il scrute les cœurs ». Reginald, De mente Tridentini, éd. d’An vers, 1706, p. vi, xii, civ. Cité par Schneemann, Controversiarum de divinæ gratiæ [ibérique arbitrii concordia initia et progressas, Fribourg-en-B., 1881, p. 170-177.
On reconnaîtra là les traits principaux de la doctrine enseignée communément par les jésuites quelques années plus tard, en Flandre avec Lessius, en Espagne avec Jean de Montemayor, en Portugal avec Molina. en Allemagne avec Grégoire de Yaleutia. à Rome même avec Suarez.
Un autre apologiste, conseiller d’État attache a François I", fournit à un professeur de CoXmbre, le jésuite P. Fonseca, l’occasion de parfaire la doctrine de la Compagnie en la dotant de son élément spécl tique : la « science moyenne ». Dans son De pnvdesti nattone, libero arbitrio et gratia contra Cali’inam. publié à Paris en 1556, Barthélémy Cainerai ius enseigne, en effet, que les décrets éternels sur la distrl bution de la grâce sont précédés de la prescience de l’usage que les hommes eu feront, s’ils la reçoivent ;