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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/438

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MOLINISME, MODALITES DIVERSES


difficultés. Avant l’acte, la volonté libre est indéterminée. Comment la connaissance de cette volonté pourrait-elle y faire voir ce qui ne s’y trouve pas ? De deux choses l’une : ou la connaissance d’un effet contingent dans sa cause est simplement conjecturale, et alors elle est déficiente, ou, si elle est certaine, la liberté est menacée autant que par les décrets prédéterminants.

Mais, comme le dit justement le P. d’Alès, op. cit., p. 98-99, pour Molina, la science divine n’est pas tirée des choses ; elle n’a d’autre source que l’essence divine elle-même. Quand il parle de î'inscrutabilis eomprehensio cujusque liberi arbitrii crcati, « il s’agit de cette puissance idéalement créatrice, par laquelle l’intellect divin dessine en lui-même des mondes intelligibles » et les pénètre jusqu’au fond par son regard ; voilà pourquoi ses combinaisons sont infaillibles. C’est ce que disait aussi Bellarmin pour défendre Molina : Humanam voluntatem Deus videt, non per speciem ab Ma acceptant, sed per divine m suam tsseniiam. De novis controv., p. 107.

2. Explication par la connaissance des futurs dans leur vérité objective. — Molina avait exposé dans son édition de 1595. mais pour la rejeter, une autre explication (p. 322). Dans les futurs contingents, disait-on, l’une des deux alternatives est toujours vraie de toute éternité, de façon déterminée, et l’autre fausse ; la première est donc, de sa nature, connaissable comme future, et l’autre comme ne devant pas se produire. L’idée que Dieu connaît ainsi les actes futurs déterminés dans leur vérité objective ou formelle fut adoptée par Suarez, Opusc, II, De scientia Dei fulurorum contingentium, t. I, c. vin ; I. II, c.

De gratia,

prolog. n. Cf. L. Mahieu, François Suarez, Paris, 1921, p. 231-234. Un grand nombre de moîinistes s’y sont ralliés. Ruiz.De scientia Dei, dist. LXXV ; Mazella, De gratia, dist. III, a. 7, n. 668, etc.

3. Refus d’explication.

D’autres, après Kleutgen, Inslilutiones theologiæ, t. i, Ratisbonne, 1881, p. 321, n. 548, tout en maintenant la science moyenne, ont renoncé à l’expliquer. < La seule chose que nous puissions connaître… c’est que Dieu, dont l’essence est d’exister et dont l'être contient éminemment toutes les existences, atteint immédiatement, directement et en elles-mêmes, toutes les existences présentes, passées, futures, possibles, conditionnelles… Expliquer cette science, c’est œuvre de dilettantisme philosophique ; l’affirmer, c’est affaire de bon sens… » écrit le P. de Régnon, Banes et Molina, Paris, 1883, p. 114-115. Son sentiment est partagé par Cornoldi, Délia libertà humana, Rome, 1884, et par Baudier, Revue des sciences ecclésiastiques, 1887, p. 360. Perrone, De gratia, I" partie, c. iv, n. 329, déclare qu' 'il convient de renoncer totalement à un problème si obscur, dont aucun essai de solution n'échappe aux difficultés ».

La prédestination à la gloire.

Les thomistes,

pour lesquels la science moyenne n’existe pas, sont unanimes à affirmer que, non seulement la prédestination est tout à fait indépendante des mérites, mais que le décret divin qui choisit les prédestinés est antérieur à la prescience que Dieu a de leurs actes futurs.

Les moîinistes, d’accord pour enseigner la parfaite gratuité de la prédestination à la gloire, se sont divisés sur la place qu’occupe logiquement, par rapport à cette prédestination, la science moyenne.

1. Lessius avait admis déjà, dans ses thèses de Louvain contre Baïus, 1586, une prédestination à la vie éternelle post prævisa mérita ut absolute futura. Distinguant, dans les propositions soumises par lui à la faculté, l'élection efficace et la prédestination, il avait défini celle-ci : præparatio gratiæ et omnium beneficiorum quibus Deus præscit hominem sahmndum.

Il avait ajouté, en conséquence : homines non sunt proprie prædestinati aut reprobati ante prævisum peccalum originale. L. de Meyer, Hist. contr., p. 14-15. C’est au fond l’idée que nous avons trouvée dans Molina. Lessius développa sa pensée, après les controverses De auxiliis, dans son 73e gratia efjicaci et son De prædestinatione et reprobalione, Anvers, 1610. Il écrit, ici, sect. ii, n. 6 : Electionem absolutam et immediatam ad gloriam non esse faclam ante prævisionem perseverantiæ seu finis in statu gratiæ, sicut nec absoluta reprobatio facta est ante prævisionem finis in statu peccati. Il fut suivi par des penseurs de l’importance de Vasquez, de Valencia, de Maldonat, de Stapleton, et par la plupart des moîinistes. Pour ces théologiens, on peut dire que l’ordre réel conditionne la grâce et la gloire : ils s’appuient sur ce que, dans le domaine des faits, si l’on se place au point de vue de l’homme, les actes méritoires sont chronologiquement antérieurs à l’obtention de la récompense.

2. Tel ne fut pas le point de vue de Bellarmin, de Suarez et de quelques autres : considérant, non pas l’ordre réel, mais l’ordre intentionel, remarquant que, pour Dieu, le choix et l’emploi des moyens suit logiquement la fixation de la fin, ils distinguèrent entre la prédestination à la gloire et la réprobation, et soutinrent que la première se fait ante prævisa mérita ut absolute futura, quoique post prævisa mérita conditionale futura.

Dans son enseignement de Louvain, Bellarmin avait enseigné la doctrine de la prédestination universelle à la gloire, gratuite et logiquement antérieure à la prévision des mérites : Deus antécédente voluntate gratis omnes homines et angelos prædestinuvit ad gloriam. Le Bachelet, Auctarium, p. 38-40. Dans un mémoire écrit probablement en 1599 sur l’affaire de Lessius, tout en défendant l’orthodoxie de son disciple, il déclare ne pas admettre son opinion. Il s’y oppose encore, et cette fois très vivement, dans un mémoire adressé au général de la Compagnie après la publication, en 1610, du De gratia efjicaci de Lessius. Il se rallie, dit-il, à la pensée de saint Augustin sur laquelle le doute n’est pas possible, et fait ressortir l’intérêt qu’il y a pour la Compagnie à s’y tenir pour demeurer d’accord avec les dominicains, les franciscains et les augustiniens. Op. cit., doc. XV, p. 186187. Sa pensée se trouve largement exposée dans le De gratia et libero arbitrioA. IL, c. ix-xv, où il soutient les thèses suivantes : Preedestinationis divins nulla ratio ex parle nostra assignari potest. — Prædestinationis nullam esse causam in nobis. Il s’est rencontré ici avec Suarez, De divina prædestinatione, I. I, c. viii, etc. Pour le doclor eximius, toute la prédestination est antérieure à la prévision du péché originel : elle est, dans son ensemble, un acte de volonté. L. Mahieu, François Suarez, p. 445-446. Cette prédestination ante prævisa mérita, qui rapprochait un peu les moîinistes des thomistes, a trouvé peu d’adeptes parmi eux : de Lugo, Ruiz, Ramircz, Antoine et quelques autres.

5° La prédéfinition des bonnes œuvres. — La prédéfinition est à peu près, aux bonnes œuvres, ce que la prédestination est à la gloire. Dieu veut que telse tels actes bons soient librement posés, et il octroie aux hommes les grâces par lesquelles ils y arriveront certainement. C’est ce qu’on appelle la prédéfinition des bonnes œuvres. Mais comment Dieu veut-il ces actes et ces grâces ? Est-ce d’une volonté indirecte, implicite, médiate ? La prédéfmition est alors virtuelle. Est-ce directement et immédiatement ? Elle est alors formelle.

1. Molina, p. 583, 587, n’admettait qu’une prédéfmition virtuelle. C’est aussi l’avis de Grégoire de Valencia, In Ium, dist. 1, q. xxii, § 3 ; q. xxiii, § 4 ; de