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    1. ORIGÈNE##


ORIGÈNE. LA PHILOSOPHIE

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invraisemblable, car sa curiosité était presque sans bornes. Mais nous savons aussi qu’il faisait profession de mépriser Épicure, en qui il voyait un maître d’impiété et d’immoralité, et que le scepticisme de la Nouvelle-Académie ne s’alliait pas avec son intelligence avide de certitude.

Nulle part Origène ne fait mystère de ses études philosophiques. Il va jusqu'à déclarer, ainsi que l’avait fait Clément avant lui, que les philosophes ont appris par révélation quelques-unes au moins des belles choses qu’ils ont dites et qu’ils sont souvent d’accord avec la loi de Dieu. Contra Cels., V, 3 ; In Gencs., nom. xiv, 3. Mais il ne partage pas, de très loin, l’enthousiasme de Clément pour la sagesse profane, et rien n’est plus curieux que la divergence des attitudes adoptées ici par les deux chefs du didascalée d’Alexandrie. Autant Clément était disposé à faire confiance à la philosophie, autant Origène insiste sur sa vanité et son insuffisance, lorsqu’on la compare à la foi : i Quand même, écrit-il, nous défendrions à nos malades d’appeler à leur aide la philosophie d'Épicure et les médecins épicuriens qui les ont séduits, n’aurions nous pas bien raison de le faire ? nous les délivrons ainsi de la maladie mortelle où les ont précipités les médecins de Celse, en leur dérobant la Providence et en faisant du plaisir le souverain Dieu. Je veux même que nous empêchions ceux que nous attirons à nos doctrines de recourir aux remèdes des autres philosophes : des péripatéticiens qui suppriment la Providence et nient les relations de l’homme avec Dieu…, des stoïciens qui, pensant et enseignant publiquement que Dieu est sujet à la corruption, que son essence est corporelle, changeante et susceptible de toutes les formes, croient de plus que tout périra excepté Dieu…, de ceux qui enseignent la folie de la métempsychose et dégradent une nature raisonnable, jusqu'à la faire passer dans la brute ou dans quelque substance insensible… » Contra Cels., III, 75 ; cf. IV. 14.

Un argument décisif empêche d’ailleurs Origène de placer toute sa confiance dans la philosophie : c’est son impuissance à corriger les mœurs de ses adeptes. Les meilleurs d’entre les païens, dit-il, les plus sages, enseignent de belles doctrines ; ils écrivent avec noblesse et élévation sur le souverain bien ; après quoi, ils se rendent au Pirée pour adresser des prières à Artémis comme à une divinité et pour assister aux fêtes que célèbre en son honneur une multitude ignorante. On les entend disserter admirablement sur l'âme et décrire la félicité qui l’attend si elle a vécu ici-bas dans la sagesse, puis oubliant bientôt les choses sublimes aue Dieu leur a manifestées, ils tombent dans des sentiments bas et grossiers et ils sacrifient un coq à Esculape. Contra Cels., VI, 3. A peine les défenseurs de la sagesse antique peuvent-ils citer deux convertis, Phédon et Polémon, que la philosophie ait retirés des mauvaises mœurs. Contra Cels., i, 64. Les autres, tous les autres, ont poursuivi leur existence impure et égoïste, sans se soucier d’autre chose que de leurs disputes d'écoles.

Il ne faut pas oublier, sans doute, que de tels passages figurent dans un écrit apologétique et qu’Origène doit ici répondre aux difficultés soulevées par Celse. Mais jamais Clément n’aurait écrit de la sorte. Son disciple n’a plus la même confiance dans les philosophes ; il les connaît trop pour les croire infaillibles, et surtout il est trop profondément attaché à la doctrine chrétienne pour essayer même de la comparer aux enseignements profanes.

On peut dire cependant qu’Origène, s’il critique en toute liberté les théories des philosophes, s’inspire de leur esprit et que, s’il s’apparente à eux, c’est par sa méthode plutôt que par ses opinions. Celles-ci, il

les veut orthodoxes, et il ne cesse jamais de les contrôler par le Kérygme ecclésiastique. Mais sa méthode est celle de la libre recherche. Il distingue fortement deux groupes de vérités : celles qui sont imposées par la tradition, et celles qui sont librement discutées parmi les fidèles. Fortement attaché aux premières, il multiplie hardiment les hypothèses au sujet des secondes. Et s’il critique les résultats obtenus par les philosophes, c’est parce qu’il est assuré de posséder une philosophie meilleure : entendons ici ce terme dans son sens propre. Le christianisme, à ses yeux, est une sagesse, il constitue un système cohérent. Il est vrai que tous les fidèles ne l’envisagent pas ainsi. Beaucoup d’entre eux, les simples, se contentent de la foi, seuls les parfaits sont capables de monter jusqu'à la gnose. Mais, si les simples sont déjà assurés du salut, ils sont loin de la perfection à laquelle prétendent les gnostiques. Cette division des croyants en deux classes est capitale dans l’enseignement d’Origène. Il faut tout de suite essayer d’en déterminer la portée.

Les simples et les parfaits.


Avant Origène, Clément d’Alexandrie avait déjà formulé une théorie très nette sur la distinction entre la foi et la gnose. Origène reprend la même distinction, et il l’appuie sur la dualité des significations qu’il découvre dans les Écritures inspirées. Aux simples croyants, le sens matériel suffit. Les parfaits devront aller plus loin et pénétrer jusque dans les mystères de l’allégorie. A tout instant, au cours de ses homélies, nous voyons le prédicateur revenir sur cette idée et nous constatons en même temps qu’elle n’est pas acceptée sans difficulté par ses auditeurs : « Que veut, se demandentils, ce chercheur de rébus ? A quoi bon rechercher partout des problèmes, afin d'éviter l’explication de la lecture ? Comment va-t-il nous montrer que, parmi nous, il y a des astres ? » InLeviL, nom. xvi, 4. « On me dit : N’allégorisez donc pas, n’expliquez pas au moyen de figures. » In Levit., nom. vi, 8.

L’orateur est souvent obligé de se défendre contre des attaques qui semblent avoir été assez violentes : « Si je commence à examiner les paroles des anciens et à y chercher un sens spirituel, si je m’elïorce de soulever le voile de la Loi et de montrer que ce qui est écrit est allégorique, je creuse des puits ; mais aussitôt les amis de la lettre lanceront la calomnie contre moi, ils me tendront des embûches ; ils me susciteront des inimitiés et des persécutions sous prétexte que la vérité ne peut tenir que sur la terre. » In Gènes., hom. xiii, 4 ; cf. In Num., hom.xii, 2 ; In Psalm. xxxvi, hom. v, 1 ; In Luc., hom. xxiii.

Ces contradictions n’empêchent pas Origène d’insister. Après avoir rappelé, dans le Contra Celsum, que les simples, gagnés au christianisme, dépassent de loin par leur pureté et leur courage les plus sages des païens, il tient à prouver que le christianisme tient en réserve pour les parfaits, des doctrines supérieures : « Même d’après notre enseignement, dit-il, il vaut beaucoup mieux adhérer aux dogmes avec raison et sagesse que par la simple foi. Si le Verbe a voulu dans certains cas la simple foi, c’est pour ne pas laisser entièrement les hommes sans secours. On le voit par les paroles de Paul, vrai disciple de Jésus : « parce que, dans la sagesse de Dieu, le monde n’a pas connu Dieu par la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyantspar la folie de la prédication. » Il montre clairement par là qu’il faudrait connaître Dieu dans la sagesse de Dieu ; mais, puisque cela n’est pas arrivé, il a plu à Dieu en seconde ligne de sauver les croyants non pas simplement par la folie, mais par la folie, en tant qu’elle est dans la prédication. Et Paul le comprend bien quand il dit : « Nous prêchons JésusChrist crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les