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    1. PASCAL##


PASCAL. LES PROVINCIALES, ANALYSE

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l’on va voir, les casuistes font toujours concorder leurs propres décisions avec celles-là ; cꝟ. 5e et 6e Provinciales.

Mais comment se fait une opinion probable ? Un docteur grave, autrement dit un casuiste, invente et expose une opinion. Un temps passe : cette opinion a mûri, s’est affermie. Un temps encore : en face de cette opinion, l’Église se tait ; donc elle approuve. L’opinion est devenue probable ; on peut la suivre. Cꝟ. 6° Provinciale, t. v, p. 36. « La loi de Dieu, conclut Pascal, faisait des prévaricateurs, selon saint Paul ; celle-ci fait qu’il n’y a presque plus que des innocents. »

P) Les procédés complémentaires. —

Ils facilitent le jeu du principal. C’est l’interprétation de quelques termes : les mots sont chargés de changer les choses, — la double probabilité du pour et du contre ou que « l’affirmation et la négation de la plupart des opinions ont chacune quelque probabilité », ou que, principe quasi pyrrhonien, le oui et le non sont également sûrs, — la remarque des circonstances favorables, — et surtout la direction d’intention. « Ce dernier principe, dit le Père casuiste, a une telle importance dans notre morale que j’oserais le comparer à la doctrine de la probabilité. » Et il explique : « On ne peut jamais vouloir le mal pour le mal ; cela est diabolique » ; par conséquent, les casuistes ne peuvent jamais permettre ! e mal ; mais « quand nous ne pouvons empêcher l’action, nous purifions au moins l’intention et ainsi nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la fin. 7° Provinciale, t. v, p. 86.

L’application. —

Et ainsi se trouve admirablement réalisé le dessein de la Compagnie d’adapter la morale aux façons de vivre de chaque catégorie sociale, afin de lui rendre la vertu facile et de la maintenir ainsi dans la religion.

Voici les bénéflciers : la tradition les gênait. Les casuistes leur permettent aujourd’hui, grâce à la direction d’intention, d’avoir le bénéfice de la simonie et d’échapper au péché et à la peine. Grâce à la probabilité des contraires, ces mêmes casuistes permettent aux prêtres de dire la messe le jour même où ils ont commis quelque faute très grave, d’accepter plusieurs honoraires pour une seule messe, ibid., p. 40-44, et dispensent de l’obéissance les religieux soit qu’ils restent dans leurs couvents, soit qu’ils en aient été chassés pour leurs désordres. Ibid., p. 44-45.

Aux valets, — car les casuistes ont agi pour tous avec la même charité, — ils permettent, grâce encore à la direction d’intention, d’aider leurs maîtres dans leurs désordres et de les voler pour compléter des gages qu’ils jugent insuffisants, et cela, en toute sûreté de conscience. Ainsi fit Jean d’Alba au service des jésuites au collège de Clermont. Mais ses maîtres le dénoncèrent ; un procès s’ouvrit au Châlelet. Jean d’Alba disparut le jour où le juge voulut condamner avec lui les écrits des casuistes, ses mauvais conseillers. Ibid., p. 48-50.

Les gentilshommes aiment le duel, mais le duel est interdit par l’Église. « Il faudrait les exclure presque tous de nos confessionnaux, dit l’interlocuteur de Pascal, si nos Pères n’avaient un peu relâché la sévérité de la religion. » « En dirigeant bien son intention on peut accepter un duel, l’offrir quelquefois, tuer en cachette un faux accusateur et ses témoins », en prenant garde, toutefois, de ne pas « dépeupler l’État ». 7e Provinciale, p. 101. Et, comme les ecclésiastiques sont « ceux que l’on doit le plus respecter dans le monde », un prêtre, d’après Caramuel, a parfois le devoir de tuer un calomniateur. Alors les jésuites peuvent tuer les jansénistes ? Non, répond le Père, car les jansénistes ne nuisent pas plus aux jésuites, « qu’un hibou à l’éclat du soleil ». Pascal reste inquiet cependant : « Un argument en forme avec la direction d’intention ; il n’en faut pas davantage pour expédier un homme en sûreté de conscience. » Ibid., p. 107.

Le juge — assimilé au confesseur — peut user de l’opinion probable ; l’usurier n’a qu’à bien diriger son intention : il sera sans péché ; car ce qui fait l’usure c’est « l’intention de prendre un profit comme usuraire » ; le banqueroutier peut garder de ses biens « autant qu’il est nécessaire pour faire subsister sa famille avec honneur ». Un raisonnement permet à celui qui a fait détruire par un tiers le bien d’autrui de ne rien restituer ; à celui qui garde les titres d’un ami lequel frustre ses créanciers de ne pas les lui rendre ; à un complice de ne restituer que si la faute n’a pas été connue ; à un juge acheté de ne restituer également que si son client était l’ayant droit ; à un sorcier, de garder son salaire s’il a vraiment consulté le diable. Cꝟ. 8e Provinciale.

Le P. Cellot a eu raison d’écrire : « Combien il est utile qu’il y ait un grand nombre d’auteurs qui écrivent de la théologie morale ! » En beaucoup de cas, la rencontre de tel casuiste est « en Dieu l’effet de sa Providence, en l’ange gardien l’effet de sa conduite, en ceux en qui elle arrive l’effet de leur prédestination ». Ibid., p. 158.

Et avec cela le ciel ù bas prix et la vie sans contrainte.

— Il est donc facile de se soustraire au péché. Mais pour gagner le ciel ne faut-il pas le sentiment du péché et une vie de pénitence ? Erreur. Les jansénistes disent cela, mais il y a tant d’autres moyens de salut plus faciles ! Écoutez le P. Le Moyne. Usait qu’une vie sévère déplairait aux gens du monde et les détournerait de la religion ; cf. Les peintures morales, Paris, 1648, 7e livre. Dès lors, dans son livre, La dévotion aisée, Paris, 1652, il établit, et le P. Barry, Le paradis ouvert à Philagie par cent dévotions à la Mère de Dieu, Rouen, 1646, avait déjà établi avant lui, que des pratiques de dévotion envers la sainte Vierge « assurent le ciel, de quelque manière qu’on ait vécu », que le soin du salut n’empêche pas de vivre dans le monde, d’y connaître l’ambition et l’amour de l’argent : « Il n’y a là que péché véniel », d’avoir une bonne opinion de soi : « C’est un don de Dieu. »

Et de ne pas dire la vérité. Car, grâce à la doctrine des équivoques et des restrictions mentales « fort commode et toujours très juste quand cela est nécessaire ou utile pour la santé, l’honneur ou le bien », qui a l’intention générale « de donner à ses discours le sens qu’un habile homme y donnerait », peut dire des choses fausses et échapper au mensonge.

D’autre part, ce principe que « l’on ne veut pas être privé de sa liberté », permet de se dégager de promesses gênantes. Une femme, à la condition de n’avoir pas un but impur et de n’être pas vieille, peut être coquette. Enfin, pour satisfaire au précepte de la messe, il suffît d’être présent — de corps — et à deux moitiés de messe entendues dans n’importe quel ordre et même simultanément.

Enfin, si réduit que soit le nombre des péchés, il en reste. Par « des subtilités admirables, de pieuses et saintes finesses », les casuistes sont arrivés à ce résultat que les crimes « s’expient aujourd’hui avec plus d’allégresse qu’ils ne se commettaient autrefois ». Imago, t. III, c. viii, p. 372. Ils ont allégé tout ce qui rend lourd le sacrement de pénitence. C’est le sujet de la 10e Provinciale. Sur ce terrain, Pascal s’indigne : t Ne suffisait-il pas, dit-il aux casuistes, d’avoir permis aux hommes tant de choses défendues ? Fallait-il encore leur donner l’occasion de commettre les crimes mêmes que vous n’avez pu excuser, par la facilité et l’assurance de l’absolution que vous leur offrez, en détruisant à dessein la puissance des prêtres, en les obligeant d’absoudre plutôt en esclaves qu’en juges les pécheurs les plus endurcis sans aucun amour de Dieu, sans