Saxe, elle avait dû recevoir, dès ses jeunes années, une instruction soignée. En tous cas, le monastère de Gandesheim où elle entra, après une certaine expérience du monde, avait une tradition littéraire et poétique bien établie, depuis que la pieuse Hathumoda y avait encouragé l’étude de la sainte Écriture, et que le moine Agius y avait célébré, en prose et en vers, les vertus de cette première abbesse. Col. 1 169-1 196. La jeune moniale y trouva des maîtresses diligentes et en particulier une religieuse du nom de Richarde, qui lui enseignèrent la grammaire, la rhétorique, le latin et même un peu de grec, les mathématiques et la musique, selon les prescriptions du concile d’Aix-la-Chapelle de 877. Rotsvitha reconnaît naïvement qu’elle s’assimile assez facilement ce qu’on lui enseigne : Undenon denego, prasstante gratia Creator is, per 8ûvaii.t, v me arles scire, quia suni animal capax disciplina ; ; sed per svÉpyeiav faleor omnino nescire. Col. 974. Elle se compare même à l’ânesse de Balaam, qui a besoin d’être fouettée. Col. 1(1(1."). Ce qui lui manquait, c’étaient des modèles et des censeurs. Tous ces secours lui vinrent de sa nouvelle abbesse, Gerberge II, tille d’Henri I er, duc de Bavière, qui avait reçu une formation littéraire distinguée par les soins des moines de Saint-Emmeran de Ratisbonne. Cette animatrice enrichit la bibliothèque du couvent d’ouvrages des poètes latins et des écrivains ecclésiastiques, qui furent une révélation pour Rotsvitha, col. 1063 ; elle lui donna également — ou lui lit donner — quelques rudiments de philosophie, qui haussèrent d’un ton sa pieuse lyre, col. 974 ; enfin elle la mit en relations avec des savants amis de Munich et de Cologne, qui encouragèrent ses essais historiques et dramatiques. Col. 973.
Les œuvres de Rotsvitha, toutes en latin, forment trois groupes, et ont été réunies par elle-même en trois livres :
1° Vies de saints.
D’abord huit poèmes hagiographiques
qui sont, comme elle le dit, « des œuvres de jeunesse », où elle se bornait à mettre en vers léonins de pieuses légendes qu’elle avait à sa disposition à Gandesheim. Elle se décida, vers 957, à offrir à sa nouvelle abbesse, en guise de don de joyeux avènement, cinq légendes en vers : Maria, Ascensio Domini, Gongol/us, Pelagius et Theophilus. Ces productions, qu’elle tenait en réserve depuis des années, elle y voit de simples amusements « qu’elle composait en cachette et qu’elle déchirait ensuite, craignant de s’être trompée dans la quantité des syllabes », car elle faisait cela « sans l’autorité d’aucun maître » et " pour l’agrément de ses sœurs ». Col. 1061-1064. La principale objection qu’on pouvait faire — et qu’on lit — à ces pieux passetemps, c’est qu’ils s’inspiraient la plupart de livres apocryphes : si Y Ascensio Domini, d’après l’opuscule de l’évêque Jean, n’ajoute presque rien au récit de l’Évangile et des Actes, Maria, qu’elle intitule très exactement : Hisloria nalivilatis laudabilisque conuersationis intacts Dei Genilricis, quam scriptam repperi sub nomine sancti Jacobi fralris Domini, cette histoire était, non pas le Protévangile grec de Jacques, mais son pendant latin, qui constitue, sous le nom : Historia de nativilale Mariée, les vingt-quatre premiers chapitres de l’Évangile du pseudo-Matthieu. Cf. É. Amann, Le Protévangile de Jacques et sesremaniements latins, Paris, 1910. Si Gongolfus n’était qu’une vila réaliste et burlesque, Theophilus était l’histoire, célèbre au Moyen Age, de ce clerc qui se voue au diable, première évocation de Faust. Tout cela était « apocryphe, et je ne le savais pas », dit Rotsvitha : mais quand ses maîtres le lui dirent, elle se cabra : « Je ne voulus pas reculer ; car.cn somme, ce qui paraît faux aujourd’hui peut être vrai demain ! » Col. 1002.
Cependant les trois autres poèmes qu’elle mit sur le métier vers 960, et qu’elle publia sans doute bien après
962 : Basilius, Dionysius et Agnes, sont plus exclusivement pieux et les Passiones se recommandaient de noms précis, ce qui semblait à Rotsvitha une garantie suffisante d’historicité : elle s’en fait gloire dans un épilogue qui n’a pas trouvé place dans les anciennes éditions : Hujus omnem materiam, sicut et prioris opusculi, sumpsi ab antiquis libris, sub certis auctorum nominibus conscriplis, excepta superius scripta passione sancti Pelagii, eu jus seriem martijrii quidam ejtisdem in qua passus est indegena civilalis exposuit… Unde, si quid in utroque [libro, scilicet poemalum et comœdiarum] falsilalis dictando comprehendi, non ex meo fefelli, sed fallehles incaute imitala fui. K. Strecker, Hrotsvitha. Leipzig, 1930. p. 111.
2° Drames.
Sur ces données plus assurées, elle écrivit,
par la suite, six drames « à l’imitation de Térence ». Autant cette prétention pouvait paraître excessive — et la moniale l’avoue, tout en s’en attribuant la première idée — autant le genre était neuf au Xe siècle et l’initiative heureuse : il était déjà bien méritoire d’avoir pu disposer des récits hagiographiques en scènes plus ou moins enchaînées et en un dialogue animé et facile à suivre. Elle les intitula : Gallicunus 1 et II, Dulcilius, Cdlimachus, Abraham, Pafnutius et Sapientia. Ils étaient destinés à « détourner certains catholiques de la vanité des livres païens et en particulier de la lecture des comédies de Térence, méfait dont je ne puis totalement me défendre moi-même », col. 971 : Rotsvitha prétendait leur fournir sous une forme agréable, « non plus en vers héroïques, mais en langage dramatique, ou plus exactement, en prose rimée, des pièces exemptes du funeste attrait du paganisme », qui célébreraient
« la puissance du Christ dans ses saints ».
Col. 974. Quatre de ces comédies furent donc soumises à trois censeurs de savoir et de qualité : ils ne trouvèrent rien à redire aux thèmes assez scabreux de la plupart de ces pièces, cpii, i substituant aux déportements des femmes païennes l’édifiante chasteté des vierges saintes », col. 973, les montrent constamment exposées aux plus grands périls : constatons que Dulcilius, en termes pudiques, reproduit des scènes de perversion analogues à celles qu’on voit évoquées dans le poème d’Agnes, et que Calimachus a pu être rapproché de Roméo et Juliette. Malgré cela, les sages critiques se contentèrent de conseiller à l’auteur « d’insérer dans ses prochaines comédies quelques bribes de philosophie », col. 974 ; mauvais conseil assurément, qui risquait d’alourdir la marche de l’action scénique, mais qui entraîna l’élève en de curieux développements doctrinaux. C’est, en effet, à cette consigne que les modernes éditeurs de Rotsvitha attribuent « l’érudition admirable qui distingue des précédentes, les deux dernières comédies du recueil, Pa/nucius et Sapientia ». P. von Winterfeld, Archiej I. d. Stud. d. neueren Sprachen, exiv, p. 322. I’aphnuce n’est qu’une variante du drame d’Abraham, emprunté, lui aussi, aux Vies des Pères du désert (Acta sancturum, oct. t. iv, p. 225) ; il proposait ingénument à un public dévot, le récit non romancé de la conversion de Thaïs et lui jetait en pâture une leçon de Paphnuce sur la musique des astres qui se terminait par ces mots caractéristiques : Nec scientia scibilis Deum ofjendil, sed injustilia scien(is. Col. 1032. Quant au drame Sapientia, il débute par une véritable énigme mathématique proposée par Sapientia à l’empereur Adrien, col. 1049 ; puis la pièce, qui est déjà une vraie « moralité », se continue par des scènes de martyre absolument fantastiques.
3° Œuvres historiques. — Elles sont toutes deux en vers héroïques : les Gesla Oltonis, composés à la demande de l’abbesse Gerberge, nièce d’Othon I er, vers 968, et complétés d’un épilogue et d’une dédicace à Othon II après 973, racontent le règne du premier empereur saxon ; les Primordia cœnobii Gandeshemenzis, entrepris