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BARDESANE

d’accord avec toi, si elles ne nous plaisent pas, nécessité nous sera de t’en montrer la cause… » p. 28. Les interruptions ne sont pour ainsi dire que des transitions qui servent à passer d’un sujet au suivant ou d’un sujet principal à ses subdivisions et aux objections. Il s’agit de déterminer la cause du mal et de montrer que « c’est avec justice que l’homme sera jugé au dernier jour », p. 43, sur le bien et le mal qu’il aura fait en ce monde. Le mal physique dépend des astres. « Dans tous les pays il y a des riches et des pauvres, des chefs et des sujets, des hommes sains et des malades, car cela arrive à chacun d’eux, suivant le destin et l’horoscope qui lui est échu. » p. 53. Mais : a) Dieu ne peut pas être responsable du mal, car s’il avait créé les hommes de manière à ce qu’ils ne puissent pas pécher, il en aurait fait de purs instruments qui n’auraient aussi aucun mérite à bien faire, tandis que « par la liberté il les a élevés au-dessus de beaucoup d’êtres et les a égalés aux anges », p. 30, il leur a d’ailleurs donné le pouvoir d’éviter le mal et de faire le bien. — b) Le mal moral ne provient pas de notre nature. Bardesane détermine ici le rôle de la nature et celui de la liberté : « Les hommes suivent la nature, comme les animaux, en ce qui touche leur corps, mais dans les choses de l’esprit ils font ce qu’ils veulent, car ils sont des êtres libres, maîtres d’eux-mêmes et images de Dieu… Nous ne nous rendons pas coupables ni ne nous justifions par ce qui ne dépend pas de nous et nous arrive naturellement. Mais quand nous faisons quelque chose avec libre arbitre, si c’est bien, nous nous innocentons et nous nous en glorifions, si c’est mal, nous nous condamnons et nous en portons la peine. » p. 36-37. — c) Le mal moral ne provient pas du destin, c’est-à-dire de l’action des planètes, car l’horoscope ou le destin et la planète qui est censée régir un climat n’ont aucune influence sur la liberté humaine, puisque des hommes nés sous le même horoscope dans différentes contrées ou nés dans le même climat, et qui devraient donc agir de la même manière, n’en ont pas moins des mœurs absolument différentes suivant les lois de leur pays. Cette dernière partie, la plus longue et la plus imagée, a donné son nom à tout le dialogue.

III. Doctrine. — 1o D’après le dialogue des lois des pays complété par le texte de Moïse Bar Cépha. — Bardesane est chrétien ; il professe un seul Dieu tout-puissant, car tout ce qui existe a besoin de lui ; il créa les mondes, coordonna et subordonna les êtres ; il créa d’abord les éléments primitifs : le feu, le vent, l’eau, la lumière et l’obscurité, chacun d’eux avait une certaine liberté (des affinités ?), car aucun être n’en est complètement dépourvu, occupait une place déterminée et avait une certaine nature. L’obscurité était nuisible et tendait à monter du bas où elle était, pour se mélanger aux éléments purs qui appelèrent Dieu à leur secours. Celui-ci les secourut par son Verbe et constitua le monde actuel qui est un mélange de bien et de mal, car les natures ou les éléments primitifs avaient déjà commencé à se mélanger ; chacune d’elles garde ses propriétés, mais, par son mélange avec d’autres, elle perd de sa force. Dieu laisse opérer le mal, parce qu’il est patient ; plus tard, il constituera un nouveau monde dont tout mal sera banni. Ainsi le monde actuel aura une fin au bout de six mille ans. En attendant, le mal moral subsiste, mais il n’est pas l’œuvre d’une puissance effective, il est produit par la méchanceté et l’erreur. C’est l’œuvre du démon et d’une nature qui n’est pas saine. Dieu créa aussi les anges, doués du libre arbitre, dont une partie pécha avec les filles des hommes. Il créa l’homme qu’il égala aux anges par la liberté, il le forma d’une intelligence, d’une âme et d’un corps. Le corps dépend des planètes pour la vie et la mort, la fortune et l’infortune, la santé et les maladies. L’homme est libre, il peut faire le bien et éviter le mal, il est immortel et sera récompensé ou puni, selon ses œuvres. Il y aura un jugement au dernier jour pour tous les êtres.

2o D’après les auteurs anciens. — Il est certain que les théories philosophiques de Bardesane étaient basées sur l’astrologie. Nous l’avons déjà vu d’après le Livre des lois des pays et Moïse Bar Cépha. Saint Éphrem écrivait aussi : « Bardesane ne lisait pas les prophètes, source de vérité, mais feuilletait constamment les livres (traitant) des signes du zodiaque. » Opera t. ii, p. 439. « La malédiction de N.-S. atteignit Bardesane ; ce que le fer de la vérité lui avait dévolu, N.-S. le lui donna à lui qui plaça sept Itié (planètes), prôna les signes du zodiaque, observa les horoscopes, enseigna les sept (planètes), rechercha les temps ; il reçut sept malédictions et les transmit à ses disciples. » Opera t. ii, p. 550. « Quand tu entendras les incantations, les signes du zodiaque, le blasphème et la funeste astrologie, c’est la voie de l’erreur et des voleurs…, pars et fuis loin de là. » Opera t. ii, p. 498. La biographie d’Éphrem rapporte aussi que ce saint combattit surtout l’astrologie de Bardesane. « Quand Mar Éphrem arriva à Édesse, il y trouva des hérésies de tout genre et surtout celle de l’impie Bardesane… ; il remarqua que tous les hommes aiment le chant, et ce bienheureux établit et constitua des religieuses contre les horoscopes et les mouvements des planètes : il leur apprit des hymnes, des chants et des répons ; il mit dans ces hymnes des paroles intelligentes et sages sur la nativité, le baptême, le jeûne, la vie du Messie, la résurrection, l’ascension. Un jour il se tourna vers le peuple et dit : Ne plaçons pas notre espérance dans les sept (planètes) que prôna Bardesane ; maudit celui qui dira comme il l’a dit que la pluie et la rosée en viennent, etc. » Opera t. iii, p. xxiii-lxiii. Plus tard Diodore, évêque de Tarse, reproche à Bardesane de soumettre les corps à l’action des planètes. Cf. Photius, Biblioth., cod. 223, P. G., t. ciii, col. 829, 876. Eusèbe l’appelle équivalemment « le prince des astrologues » : ἐπ’ἄϰρον τῆς χαλδαϊϰῆς ἐπιστήμης ἐληλαϰότος. Præp. ev., vi, 9, P. G., t. xxi, col. 464. Michel le Syrien va jusqu’à l’accuser d’avoir tiré l’horoscope de Notre-Seigneur : « Il dit que le Messie, fils de Dieu, naquit sous (la planète) Jupiter et qu’il fut crucifié à l’heure de Mars. »

Le caractère astrologique de la philosophie de Bardesane étant ainsi bien établi, nous pouvons partir de là pour expliquer des allusions moins transparentes. Saint Éphrem écrit : « Il regarda le soleil et la lune, il compara le soleil au père, il compara la lune à la mère, il imagina à pleine bouche des mâles et des femelles, des dieux et leur progéniture, et adressa à beaucoup (la formule) : Gloire à vous, maître (moraï) des dieux. » Opera, t. ii, p. 558. Le père et la mère sont le soleil et la lune comme Bar Hébræus, adonné lui-même à l’astrologie, l’exposa très clairement. Chron. eccles., édit. Abbeloos et Lamy, t. i, col. 48 ; Histoire des dynasties, édit. Pococke, Oxford, 1672, p. 125. « Il appelle le soleil le père, et la lune la mère de la vie ; » les dieux et déesses sont les signes du zodiaque appelés dieux par les astrologues, cf. Firmicus Maternus, Matheseos libri VIII, Leipzig, 1894, l. II, c. xxiii, xxviii, 3 ; l. iv, c. xxi, 2, et divisés en signes mâles et femelles. Ibid., l. II, c. i, 3 ; c. ii, 3-9. Enfin les maîtres (moraï) des dieux sont le soleil et la lune, ils ont reçu ce nom « parce que sous leur action, toutes les natures de la création grandissent, subsistent et sont conservées ». Die Kenntniss der Wahrheit, édit. Kayser, Leipzig, 1889, p. 208. Firmicus écrit : Masculini quidem signi dominus sol est, feminini vero luna. Ibid., l. II, c. ii, 3. C’était d’ailleurs une ancienne théorie égyptienne : Μητέρα τὴν Σελήνην τοῦ ϰόσμου ϰαλοῦσι… πληρουμένην ὑπὸ Ἡλίου ϰαὶ ϰυϊσκομένην. Plutarque, De Oside et Osiride, c. xliii, édit.} Didot, t. iii, p. 450. Nous savons en outre, que Bardesane connaissait « les livres des Égyptiens ». Lois des pays, p. 44.

C’est à tort que l’on rapprocha plus tard cette théorie