Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/116

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six pieds d’espace me donnent plus de peine à gouverner que toute la terre. Voilà donc ce qu’est un premier ministre ! Enviez-moi mes gardes à présent !

Ses traits étaient décomposés de manière à faire craindre quelque accident, et il lui prit une toux violente et longue, qui finit par un léger crachement de sang. Il vit que le père Joseph, effrayé, allait saisir une clochette d’or posée sur la table, et se levant tout à coup avec la vivacité d’un jeune homme, il l’arrêta et lui dit :

— Ce n’est rien, Joseph, je me laisse quelquefois aller au découragement ; mais ces moments sont courts, et j’en sors plus fort qu’avant. Pour ma santé, je sais parfaitement où j’en suis ; mais il ne s’agit pas de cela. Qu’avez-vous fait à Paris ? Je suis content de voir le Roi arrivé dans le Béarn comme je le voulais : nous le veillerons mieux. Que lui avez-vous montré pour le faire partir ?

— Une bataille à Perpignan.

— Allons, ce n’est pas mal. Eh bien, nous pouvons la lui arranger ; autant vaut cette occupation qu’une autre à présent. Mais la jeune Reine, la jeune Reine, que dit-elle ?

— Elle est encore furieuse contre vous. Sa correspondance découverte, l’interrogatoire que vous lui fîtes subir !

— Bah ! un madrigal et un moment de soumission lui feront oublier que je l’ai séparée de sa maison d’Autriche et du pays de son Buckingham. Mais que fait-elle ?

— D’autres intrigues avec Monsieur. Mais, comme toutes ses confidences sont à nous, en voici les rapports jour par jour.

— Je ne me donnerai pas la peine de les lire : tant que le duc de Bouillon sera en Italie, je ne crains rien de là ; elle peut rêver de petites conjurations avec Gaston au coin du feu ; il s’en tient toujours aux aimables inten-