Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/143

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— Je me jette aussi aux pieds de Votre Majesté pour qu’elle veuille m’accorder la révocation d’une rigueur que j’ai provoquée (je l’avoue publiquement), et que je regardai peut-être trop à la hâte comme utile au repos de l’État. Oui, quand j’étais de ce monde, j’oubliais trop mes plus anciens sentiments de respect et d’attachement pour le bien général ; à présent que je jouis déjà des lumières de la solitude, je vois que j’ai eu tort ; et je me repens.

L’attention redoubla, et l’inquiétude du Roi devint visible.

— Oui, il est une personne, Sire, que j’ai toujours aimée, malgré ses torts envers vous et l’éloignement que les affaires du royaume me forcèrent à lui montrer ; une personne à qui j’ai dû beaucoup, et qui vous doit être chère, malgré ses entreprises à main armée contre vous-même ; une personne enfin que je vous supplie de rappeler de l’exil : je veux dire la Reine Marie de Médicis, votre mère.

Le Roi laissa échapper un cri involontaire, tant il était loin de s’attendre à ce nom. Une agitation tout à coup réprimée parut sur toutes les physionomies. On attendait en silence les paroles royales. Louis XIII regarda longtemps son vieux ministre sans parler, et ce regard décida du destin de la France. Il se rappela en un moment tous les services infatigables de Richelieu, son dévouement sans bornes, sa surprenante capacité, et s’étonna d’avoir voulu s’en séparer ; il se sentit profondément attendri à cette demande, qui allait chercher sa colère au fond de son cœur pour l’en arracher, et lui faisait tomber des mains la seule arme qu’il eût contre son ancien serviteur ; l’amour filial amena le pardon sur ses lèvres et les larmes dans ses yeux ; heureux d’accorder ce qu’il désirait le plus au monde, il tendit la main