Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/145

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de la tente, et ne semblait pas avoir fait grande attention à toute cette scène. Il causait avec Montrésor et les gentilshommes de Monsieur, tous ennemis jurés du Cardinal, parce que, hors de la foule qu’il fuyait, il n’avait trouvé qu’eux à qui parler. Cette conduite eût été d’une extrême maladresse dans tout autre moins connu ; mais on sait que, tout en vivant au milieu de la cour, il ignorait toujours ses intrigues ; et on disait qu’il revenait d’une bataille gagnée comme le cheval du Roi de la chasse, laissant les chiens caresser leur maître et se partager la curée, sans chercher à rappeler la part qu’il avait eue au triomphe.

L’orage semblait donc entièrement apaisé, et aux agitations violentes de la matinée succédait un calme fort doux ; un murmure respectueux interrompu par des rires agréables, et l’éclat des protestations d’attachement, étaient tout ce qu’on entendait dans la tente. La voix du Cardinal s’élevait de temps à autre pour s’écrier : — Cette pauvre Reine ! nous allons donc la revoir ! je n’aurais jamais osé espérer ce bonheur avant de mourir ! Le Roi l’écoutait avec confiance et ne cherchait pas à cacher sa satisfaction : — C’est vraiment une idée qui lui est venue d’en haut, disait-il ; ce bon Cardinal, contre lequel on m’avait tant fâché, ne songeait qu’à l’union de ma famille ; depuis la naissance du Dauphin, je n’ai pas goûté de plus vive satisfaction qu’en ce moment. La protection de la sainte Vierge est visible pour le royaume.

En ce moment un capitaine des gardes vint parler à l’oreille du prince.

— Un courrier de Cologne ? dit le Roi ; qu’il m’attende dans mon cabinet.

Puis, n’y tenant pas : — J’y vais, j’y vais, dit-il. Et il entra seul dans une petite tente carrée attenante à la grande. On y vit un jeune courrier tenant un porte-