Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Eh bien, dit de Thou, je jure par lui que je vous en crois aveuglément ; vous me rendez la vie !

Ils se serraient encore la main avec effusion de cœur, lorsqu’ils s’aperçurent qu’ils étaient arrivés presque devant la tente du Roi.

Le jour était entièrement tombé, mais on aurait pu croire qu’un jour plus doux se levait, car la lune sortait de la mer dans toute sa splendeur ; le ciel transparent du Midi ne se chargeait d’aucun nuage, et semblait un voile d’un bleu pâle semé de paillettes argentées : l’air encore enflammé n’était agité que par le rare passage de quelques brises de la Méditerranée, et tous les bruits avaient cessé sur la terre. L’armée fatiguée reposait sous les tentes dont les feux marquaient la ligne, et la ville assiégée semblait accablée du même sommeil ; on ne voyait, sur ses remparts, que le bout des armes des sentinelles qui brillaient aux clartés de la lune, ou le feu errant des rondes de nuit ; on n’entendait que quelques cris sombres et prolongés de ces gardes qui s’avertissaient de ne pas dormir.

C’était seulement autour du Roi que tout veillait, mais à une assez grande distance de lui. Ce prince avait fait éloigner toute sa suite ; il se promenait seul devant sa tente, et, s’arrêtant quelquefois à contempler la beauté du ciel, il paraissait plongé dans une mélancolique méditation. Personne n’osait l’interrompre, et ce qui restait de seigneurs dans le quartier royal s’était approché du Cardinal, qui, à vingt pas du Roi, était assis sur un petit tertre de gazon façonné en banc par les soldats ; là, il essuyait son front pâle ; fatigué des soucis du jour et du poids inaccoutumé d’une armure, il congédiait par quelques mots précipités, mais toujours attentifs et polis, ceux qui venaient le saluer en se retirant ; il n’avait déjà plus près de lui que Joseph, qui causait avec Laubar-