Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/209

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— Je croyais, cher de Thou, que vous ne deviez plus m’interroger, et que vous vouliez avoir une aveugle confiance en moi. Quel mauvais génie vous pousse donc à vouloir sonder ainsi mon âme ? Je ne suis pas étranger à ces idées qui vous possèdent. Qui vous dit que je ne les aie pas conçues ! Qui vous dit que je n’aie pas formé la ferme résolution de les pousser plus loin dans l’action que vous n’osez le faire même dans les paroles ! L’amour de la France, la haine vertueuse de l’ambitieux qui l’opprime et brise ses antiques mœurs avec la hache du bourreau, la ferme croyance que la vertu peut être aussi habile que le crime, voilà mes dieux, les mêmes que les vôtres. Mais, quand vous voyez un homme à genoux dans une église, lui demandez-vous quel saint ou quel ange protège et reçoit sa prière ? Que vous importe, pourvu qu’il prie au pied des autels que vous adorez, pourvu qu’il y tombe martyr, s’il le faut ? Eh ! lorsque nos pères s’acheminaient pieds nus vers le saint sépulcre, un bourdon à la main, s’informait-on du vœu secret qui les conduisait à la Terre sainte ? Ils frappaient, ils mouraient, et les hommes et Dieu même peut-être, n’en demandaient pas plus ; le pieux capitaine qui les guidait ne faisait point dépouiller leurs corps pour voir si la croix rouge et le cilice ne cachaient pas quelque autre signe mystérieux ; et, dans le ciel, sans doute, ils n’étaient pas jugés avec plus de rigueur pour avoir aidé la force de leurs résolutions sur la terre par quelque espoir permis au chrétien, quelque seconde et secrète pensée, plus humaine et plus proche du cœur mortel.

De Thou sourit et rougit légèrement en baissant les yeux.

— Mon ami, reprit-il avec gravité, cette agitation peut vous faire mal ; ne continuons pas sur ce sujet ; ne mêlons pas Dieu et le ciel dans nos discours, parce que cela