Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/215

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présenté cette seule idée, je n’ai pas ri ; voyez, mon visage est triste. Ah ! c’est peut-être parce que le sombre prisonnier est devenu tout à coup bavard, et parle vite ? Ah ! ce n’est rien ; je pourrais vous en dire d’autres, et vous rendre quelques services, mes braves amis. Si je me mettais dans les anecdotes, par exemple, si je vous disais que je connais un prêtre qui avait ordonné la mort de quelques hérétiques avant de dire la messe, et qui, furieux d’être interrompu à l’autel durant le saint-sacrifice, cria à ceux qui lui demandaient ses ordres : Tuez tout ! tuez tout ! ririez-vous bien tous, messieurs ? Non, pas tous. Monsieur que voilà, par exemple, mordrait sa lèvre et sa barbe. Oh ! il est vrai qu’il pourrait répondre qu’il a fait sagement, et qu’on avait tort d’interrompre sa pure prière. Mais si j’ajoutais qu’il s’est caché pendant une heure derrière la toile de votre tente, monsieur de Cinq-Mars, pour vous écouter parler, et qu’il est venu pour vous faire quelque perfidie, et non pour moi, que dirait-il ? Maintenant, messieurs, êtes-vous contents ? Puis-je me retirer après cette parade ?

Le prisonnier avait débité tout ceci avec la rapidité d’un vendeur d’orviétan, et avec une voix si haute, que Joseph en fut tout étourdi. Il se leva indigné à la fin, et s’adressant à Cinq-Mars :

— Comment souffrez-vous, monsieur, lui dit-il, qu’un prisonnier qui devait être pendu vous parle ainsi ?

L’Espagnol, sans daigner s’occuper de lui davantage, se pencha vers d’Effiat, et lui dit à l’oreille :

— Je ne vous importe guère, donnez-moi ma liberté, j’ai déjà pu la prendre, mais je ne l’ai pas voulu sans votre consentement ; donnez-la-moi, ou faites-moi tuer.

— Partez si vous le pouvez, lui répondit Cinq-Mars, je vous jure que j’en serai fort aise.