Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/225

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grand silence. Après quelques minutes cependant, un homme, qui paraissait sortir d’une porte voûtée du Louvre, s’approcha lentement avec une lanterne sourde, dont il portait les rayons au visage de chaque individu, et qu’il souffla, ayant démêlé celui qu’il cherchait entre tous : il lui parla de cette façon, à demi-voix, en lui serrant la main :

— Eh bien, Olivier, que vous a dit M. le Grand[1] ? Cela va-t-il bien ?

— Oui, oui, je l’ai vu hier à Saint-Germain ; le vieux chat est bien malade à Narbonne, il va s’en aller ad patres ; mais il faut mener nos affaires rondement, car ce n’est pas la première fois qu’il fait l’engourdi. Avez-vous vu du monde pour ce soir, mon cher Fontrailles ?

— Soyez tranquille, Montrésor va venir avec une centaine de gentilshommes de Monsieur ; vous le reconnaîtrez ; il sera déguisé en maître maçon, une règle à la main. Mais n’oubliez pas surtout les mots d’ordre ; les savez-vous bien tous, vous et vos amis ?

— Oui, tous, excepté l’abbé de Gondi, qui n’est pas arrivé encore ; mais, Dieu me pardonne, je crois que le voilà lui-même. Qui diable l’aurait reconnu ?

En effet, un petit homme sans soutane, habillé en soldat des gardes françaises, et portant de très-noires et fausses moustaches, se glissa entre eux. Il sautait d’un pied sur l’autre avec un air de joie, et se frottait les mains.

— Vive Dieu ! tout va bien ; mon ami Fiesque ne faisait pas mieux. Et se levant sur la pointe des pieds pour frapper sur l’épaule d’Olivier : — Savez-vous que, pour un homme qui sort presque des pages, vous ne vous con-

  1. On nommait ainsi par abréviation le grand écuyer Cinq-Mars. Ce nom reviendra souvent dans le cours du récit.