Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

aux carrosses de Chavigny fut donc à peu près inutile et ne servit qu’à augmenter la confusion. Les Gardes du corps, comme pour l’acquit de leur conscience, parcouraient la foule des duellistes en disant mollement : — Allons, messieurs, de la modération.

Mais, lorsque deux gentilshommes avaient bien engagé le fer et se trouvaient bien acharnés, le garde qui les voyait s’arrêtait pour juger les coups, et quelquefois même favorisait celui qu’il pensait être de son opinion ; car ce corps, comme toute la France, avait ses Royalistes et ses Cardinalistes.

Les fenêtres du Louvre s’éclairaient peu à peu, et l’on y voyait beaucoup de têtes de femmes derrière les petits carreaux en losanges, attentives à contempler le combat.

De nombreuses patrouilles de Suisses sortirent avec des flambeaux ; on distinguait ces soldats à leur étrange uniforme. Ils portaient le bras droit rayé de bleu et de rouge, et le bas de soie de leur jambe droite était rouge ; le côté gauche rayé de bleu, rouge et blanc, et le bas blanc et rouge. On avait espéré, sans doute, au château royal, que cette troupe étrangère pourrait dissiper l’attroupement ; mais on se trompa. Ces impassibles soldats, suivant froidement, exactement et sans les dépasser, les ordres qu’on leur avait donnés, circulèrent avec symétrie entre les groupes armés qu’ils divisaient un moment, vinrent se réunir devant la grille avec une précision parfaite, et rentrèrent en ordre comme à la manœuvre, sans s’informer si les ennemis à travers lesquels ils étaient passés s’étaient rejoints ou non.

Mais le bruit, un moment apaisé, redevint général à force d’explications particulières. On entendait partout des appels, des injures et des imprécations ; il ne semblait pas que rien pût faire cesser ce combat que la des-