Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/250

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— Il n’est plus temps au contraire, reprit Marie avec un sourire forcé ; M. de Cinq-Mars et moi nous sommes unis pour toujours.

— Pour toujours ! s’écria la Reine ; y pensez-vous ? et votre rang, votre nom, votre avenir, tout est-il perdu ? Réserveriez-vous ce désespoir à votre frère le duc de Rethel et à tous les Gonzague ?

— Depuis plus de quatre ans j’y pense, et j’y suis résolue ; et depuis dix jours nous sommes fiancés…

— Fiancés ! s’écria la Reine en frappant ses mains ; on vous a trompée, Marie. Qui l’eût osé sans l’ordre du Roi ? C’est une intrigue que je veux savoir ; je suis sûre qu’on vous a entraînée et trompée.

Marie se recueillit un moment et dit :

— Rien ne fut plus simple, madame, que notre attachement. J’habitais, vous le savez, le vieux château de Chaumont, chez la maréchale d’Effiat, mère de M. de Cinq-Mars. Je m’y étais retirée pour pleurer mon père, et bientôt il arriva qu’il eut lui-même à regretter le sien. Dans cette nombreuse famille affligée, je ne vis que sa douleur qui fût aussi profonde que la mienne : tout ce qu’il disait je l’avais déjà pensé, et lorsque nous vînmes à nous parler de nos peines, nous les trouvâmes toutes semblables. Comme j’avais été la première malheureuse, je me connaissais mieux en tristesse, et j’essayais de le consoler en lui disant ce que j’avais souffert, de sorte qu’en me plaignant il s’oubliait. Ce fut le commencement de notre amour, qui, vous le voyez, naquit presque entre deux tombeaux.

— Dieu veuille, ma chère, qu’il ait une fin heureuse ! dit la Reine.

— Je l’espère, madame, puisque vous priez pour moi, poursuivit Marie ; d’ailleurs, tout me sourit à présent ; mais alors j’étais bien malheureuse ! La nouvelle arriva