Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/260

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— C’est inutile ; vous n’avez pas oublié sans doute ce que lui-même nous recommanda chez Marion Delorme ?

— De n’ajouter personne à notre liste, dit M. du Lude.

— Ah ! oui, oui, j’entends, dit de Thou ; cela me semble raisonnable, fort raisonnable, en vérité.

— Eh bien, poursuivit Fournier, c’est lui-même qui a enfreint cette convention ; car, ce matin, outre les drôles que ce furet de Gondi nous a amenés, on a vu je ne sais quel vagabond capitan qui, pendant la nuit, frappait à coups d’épée et de poignard des gentilshommes des deux partis en criant à tue-tête : À moi, d’Aubijoux ! tu m’as gagné trois mille ducats, voilà trois coups d’épée. À moi, La Chapelle ! j’aurai dix gouttes de ton sang en échange de mes dix pistoles ; et je l’ai vu de mes yeux attaquer ces messieurs et plusieurs autres encore des deux partis, assez loyalement, il est vrai, car il ne les frappait qu’en face et bien en garde, mais avec beaucoup de bonheur et une impartialité révoltante.

— Oui, monsieur, et j’allais lui en dire mon avis, reprit du Lude, quand je l’ai vu s’évader dans la foule comme un écureuil, et riant beaucoup avec quelques inconnus à figures basanées ; je ne doute pas cependant que M. de Cinq-Mars ne l’ait envoyé, car il donnait des ordres à cet Ambrosio, que vous devez connaître, ce prisonnier espagnol, ce vaurien qu’il a pris pour domestique. Ma foi, je suis dégoûté de cela, et je ne suis point fait pour être confondu avec cette canaille.

— Ceci, monsieur, reprit Fournier, est fort différent de l’affaire de Loudun. Le peuple ne fit que se soulever, sans se révolter réellement : dans ce pays, c’était la partie saine et estimable de la population, indignée d’un assassinat, et non animée par le vin et l’argent. C’était un cri jeté contre un bourreau, cri dont on pouvait être l’organe honorablement, et non pas ces hurlements de l’hy-