Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/289

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n’empêchait pas de sentir peser partout le doigt de l’effrayant parvenu.

L’amour du peuple se réveillait aussi pour le fils d’Henry IV ; on courait dans les églises, on priait, et même on pleurait beaucoup. Les princes malheureux sont toujours aimés. La mélancolie de Louis et sa douleur mystérieuse intéressaient toute la France, et, vivant encore, on le regrettait déjà, comme si chacun eût désiré de recevoir la confidence de ses peines avant qu’il n’emportât avec lui le grand secret de ce que souffrent ces hommes placés si haut, qu’ils ne voient dans leur avenir que leur tombe.

Le Roi, voulant rassurer la nation entière, fit annoncer le rétablissement momentané de sa santé, et voulut que la cour se préparât à une grande partie de chasse donnée à Chambord, domaine royal où son frère, le duc d’Orléans, le priait de revenir.

Ce beau séjour était la retraite favorite du Roi, sans doute parce que, en harmonie avec sa personne, il unissait comme elle la grandeur à la tristesse. Souvent il y passait des mois entiers sans voir qui que ce fût, lisant et relisant sans cesse des papiers mystérieux, écrivant des choses inconnues, qu’il enfermait dans un coffre de fer dont lui seul avait le secret. Il se plaisait quelquefois à n’être servi que par un seul domestique, à s’oublier ainsi lui-même par l’absence de sa suite, et à vivre pendant plusieurs jours comme un homme pauvre ou comme un citoyen exilé, aimant à se figurer la misère ou la persécution pour respirer de la royauté. Un autre jour, changeant tout à coup de pensée, il voulait vivre dans une solitude plus absolue ; et, lorsqu’il avait interdit son approche à tout être humain, revêtu de l’habit d’un moine, il courait s’enfermer dans la chapelle voûtée ; là, relisant la vie de Charles-Quint, il se croyait à Saint-Just,