Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des connaissances de vénerie qui vous manquent ; je vous disais, d’après la Chasse royale, ouvrage du roi Charles IX, qu’après que le veneur a accoutumé son chien à suivre une bête, il doit penser qu’il a envie de retourner au bois, et qu’il ne faut ni le tancer ni le frapper pour qu’il donne bien dans le trait ; et que, pour apprendre à un chien à bien se rabattre, il ne faut laisser passer ni couler de faux-fuyants, ni nulles sentes, sans y mettre le nez.

Voilà ce que vous m’avez répondu (et d’un ton d’humeur, remarquez bien cela) : « Ma foi, Sire, donnez-moi plutôt des régiments à conduire que des oiseaux et des chiens. Je suis sûr qu’on se moquerait de vous et de moi si on savait de quoi nous nous occupons. » Et le 8… attendez, oui, le 8, tandis que nous chantions vêpres ensemble dans ma chambre, vous avez jeté votre livre dans le feu avec colère, ce qui était une impiété ; et ensuite vous m’avez dit que vous l’aviez laissé tomber : péché, péché mortel ; voyez, j’ai écrit dessous : mensonge, souligné. On ne me trompe jamais, je vous le disais bien.

— Mais, Sire…

— Un moment, un moment. Le soir vous avez dit du Cardinal qu’il avait fait brûler un homme injustement et par haine personnelle.

— Et je le répète, et je le soutiens, et je le prouverai, Sire ; c’est le plus grand crime de cet homme que vous hésitez à disgracier et qui vous rend malheureux. J’ai tout vu, tout entendu moi-même à Loudun : Urbain Grandier fut assassiné plutôt que jugé. Tenez, Sire, puisque vous avez là ces mémoires de votre main, relisez toutes les preuves que je vous en donnai alors.

Louis, cherchant la page indiquée et remontant au voyage de Perpignan à Paris, lut tout ce récit avec attention en s’écriant :

— Quelles horreurs ! comment avais-je oublié tout cela ?