Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/304

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sur la salle des gardes, qu’une foule de courtisans qui l’attendait l’entoura, et l’obligea de s’éloigner pour donner les ordres de sa charge ou de recevoir des respects, des confidences, des sollicitations, des présentations, des recommandations, des embrassades, et ce torrent de relations graduelles qui entourent un favori, et pour lesquelles il faut une attention présente et toujours soutenue, car une distraction peut causer de grands malheurs. Il oublia ainsi à peu près cette petite circonstance qui pouvait n’être qu’imaginaire, et, se livrant aux douceurs d’une sorte d’apothéose continuelle, monta à cheval dans la grande cour, servi par de nobles pages, et entouré des plus brillants gentilshommes.

Bientôt Monsieur arriva suivi des siens, et une heure ne s’était pas écoulée, que le Roi parut, pâle, languissant et appuyé sur quatre hommes. Cinq-Mars, mettant pied à terre, l’aida à monter dans une sorte de petite voiture fort basse, que l’on appelait brouette, et dont Louis XIII conduisait lui-même les chevaux très-dociles et très-paisibles. Les piqueurs à pied, aux portières, tenaient les chiens en laisse ; au bruit du cor, des centaines de jeunes gens montèrent à cheval, et tout partit pour le rendez-vous de la chasse.

C’était à une ferme nommée l’Ormage que le Roi l’avait fixé, et toute la cour, accoutumée à ses usages, se répandit dans les allées du parc, tandis que le Roi suivait lentement un sentier isolé ayant à sa portière le Grand écuyer et quatre personnages auxquels il avait fait signe de s’approcher.

L’aspect de cette partie de plaisir était sinistre : l’approche de l’hiver avait fait tomber presque toutes les feuilles des grands chênes du parc, et les branches noires se détachaient sur un ciel gris comme les branches de candélabres funèbres ; un léger brouillard semblait annon-